CORPUS NOSTRADAMUS 247 -- par Patrice Guinard

Étude technique et anatomique des premières éditions lyonnaises (1555 et 1557)


Cette nouvelle étude sur les premières éditions des Prophéties concerne les 4 exemplaires retrouvés à ce jour : l'unicum du premier tirage de l'édition Bonhomme en mai 1555 (exemplaire d'Albi, ouvrage n.2039 de la bibliothèque du marquis Henry Paschal de Rochegude (1741-1834 ; né à Albi à 4h du matin), cédé à la municipalité d'Albi), les deux exemplaires du second tirage (vers juin 1555) de cette même édition (l'exemplaire de Wien et celui ayant appartenu successivement à Henri Dujardin, Hector Rigaux, Émile Nourry et Jules Thiébaud avant d'être présenté à la XXVe Biennale des Antiquaires en septembre 2010 par la librairie parisienne Thomas-Scheler), et l'unicum de l'édition Antoine du Rosne de septembre 1557 (exemplaire de la B.U. d'Utrecht). Il existerait deux autres exemplaires de l'édition de 1555 en circulation, ayant figuré aux catalogues de la Mazarine à Paris et de la médiathèque Gambetta à Orléans avant d'être déclarés manquants (cf. CN. 25).

PAPIER-DIMENSIONS
Les deux tirages Bonhomme ont été imprimés sur un même papier, présentant en filigrane 3 lignes verticales espacées de 31 mm pour le texte imprimé (délimitant quatre bandes verticales de 26, 31, 31 et 5 mm environ), précédé et suivi d'un papier de reliure à 5 lignes horizontales en filigrane, espacées de 27 mm (délimitant six bandes horizontales de 21, 27, 27, 27, 27 et 7 mm environ). J'ignore sur quel papier a été imprimée l'édition Du Rosne de 1557 qui est de très petites dimensions (environ 7 cm de largeur sur 12 cm de hauteur) à l'instar des éditions Benoist Rigaud parues en 1568 puis dans les années 70 (CN 38). L'édition Bonhomme de 1555 est de dimensions plus grandes (environ 9.5 cm de largeur sur 14 cm de hauteur).

FORMAT-FOLIOTATION-PAGINATION
Les tirages/éditions Bonhomme sont au format in-octavo, foliotés en chiffres romains A i - B iiij (pour la préface) puis a i - k ii (pour les quatrains) ; la marque de foliotation est absente en B iiij. L'édition Du Rosne est au format in-seize, folioté en chiffres romains A1-A6 (pour la préface), A7-A8 puis B1-H5 (pour les quatrains) ; la marque de foliotation est absente en A4, et également, conformément à l'usage, aux feuillets 5, 6, 7 et 8.

Les tirages/éditions Bonhomme ne sont pas paginés si ce n'est manuellement (de 1 à 46 dans l'exemplaire d'Albi, et deux fois dans l'exemplaire de Wien : de 1 à 91 en bas pour tout le texte et de 1 à 38 au recto des feuillets en haut à droite et seulement pour les centuries). L'édition Du Rosne est paginée de 1 à 122 avec deux erreurs typographiques : "2" pour 3 et "63" pour 62.

MISE EN PAGE
Le texte de l'édition Bonhomme tient sur 92 pages dont 91 sont imprimées (7 x 13) comprenant la page de titre, celle du privilège, l'épître à César sur 14 pages, et les 353 quatrains centuriques sur 75 pages, à raison de 21 pages par centurie complète et de 5 quatrains par page, ornementés de bandeaux, de fleurons et de lettrines en début et fin de centuries. Le texte de l'épître est imprimé sur 11 lignes en A2r, 11 pages de 25 lignes et 2 pages de 26 lignes (en B4r non folioté et B4v), soit au total sur 338 lignes (13 x 13 x 2). Curieusement les nombres de pages de l'épître et des centuries (respectivement 14 et 75) correspondent aux 14 mots capitalisés du texte, totalisant 75 lettres (CN 227). Tous les quatrains sont entiers sur une page.

Le texte de l'édition Du Rosne de septembre 1557 tient sur 122 pages numérotées dont 121 sont imprimées (11 x 11) comprenant la page de titre, une page blanche, l'épître à César sur 10 pages, et les 642 quatrains centuriques sur 110 pages, à raison de 17 pages par centurie complète et de 6 quatrains environ par page. Le texte de l'épître est imprimé sur 17 lignes en A2r et 9 pages de 31 lignes (32 lignes page 7 mais 30 page 12), soit au total sur 296 lignes, soit (13 x 22) + 10 (qui est le nombre de pages). Contrairement à l'édition Bonhomme, les quatrains sont parfois coupés d'une page à l'autre, comme ils le seront dans la plupart des éditions ultérieures.

NUMÉROTATION DES QUATRAINS ET DES CENTURIES
Les quatrains sont numérotés en chiffres arabes (et en marge) dans les tirages Bonhomme, contrairement à l'édition Du Rosne de 1557 et à toutes les éditions ultérieures qui le sont en chiffres romains. On retrouve cette particularité de l'imprimeur lyonnais qui, deux ans auparavant, avait numéroté en chiffres arabes les 100 quatrains de La Morosophie du toulousain Guillaume de la Perrière (Bonhomme, 1553 ; copie).

Trois erreurs de numérotation de l'exemplaire d'Albi ont été corrigées dans le retirage de juin 1555 : pas de numéro 43 à la centurie I, le quatrain 27 est numéroté "77" à la centurie II, et le quatrain 95 est numéroté "5" à la centurie III. En revanche les quatrains 13 à 17 de la centurie II (disposés sur une page) sont numérotés 12 à 16 dans tous les exemplaires de 1555. Il y a donc deux quatrains marqués "12" et aucun marqué "17" : peut-être une erreur volontaire puisqu'elle concerne le quatrain 13 et advient à la 2e dizaine de la centurie II (22) et à la 41e page du traité (cf. Les Nombres du Testament et Le Codage de l'Orus, CN 176 et CN 28). Dans l'édition Du Rosne de 1557, le quatrain 47 de la seconde centurie est numéroté par erreur comme le précédent (XLVI).

Dans l'édition de 1555, les centuries ne sont pas mentionnées en haut de page, contrairement à l'édition de 1557 et aux éditions B. Rigaud ultérieures. Deux erreurs figurent aux pages 52 et 53 de l'édition Du Rosne de 1557 à la centurie III, marquées respectivement "CENTVRIE II" puis "CENTVRIE IIII". Toutes les centuries sont titrées en toutes lettres (avant leur premier quatrain) dans les éditions de 1555 et 1557 contrairement aux éditions B. Rigaud ultérieures : "PREMIERE", "SECONDE", "TIERCE" et "QVARTE" dans les éditions de 1555, puis "CINQVIESME", "SIXSIESME" [sic] et "SEPTIESME" dans celle de 1557, et dans la contrefaçon Du Rosne de ca. 1560 (exemplaire de Budapest), mais "sixiesme" en minuscules dans l'édition datée de 1561 et attribuée à la veuve de Nicolas Buffet.

ICONOGRAPHIE
Les pièces iconographiques des premières éditions (vignettes, fleurons, bandeaux, lettrines) ont fait l'objet de deux articles spécifiques (CN 26 et CN 27). Quelques rappels et précisions supplémentaires :
Les deux tirages de l'édition de 1555 présentent des fleurons différents à la fin des centuries 1 et 2.
Le bandeau du début de la 3e centurie est inversé dans le retirage de juin, et on lit "NOSTADAMVS" [sic] au titre.
Le fleuron de la fin de l'ouvrage est collé à la marque de foliotation dans le retirage de juin alors qu'il est imprimé plus bas dans l'exemplaire d'Albi.
Le petit fleuron décoratif est absent des deux tirages de 1555 au début de la 3e centurie.
L'encrage de la vignette en page de titre noircit l'oeil du personnage assis à son bureau aux exemplaires d'Albi et de Wien. En revanche l'oeil s'éclaircit à l'exemplaire Rigaux (édition 1555), à celui d'Utrecht (édition 1557), et aussi à la vignette de la Paraphrase de Galien imprimée par Antoine du Rosne la même année (cf. CN 55). Même noircissement à hauteur d'un pli de la robe dans l'exemplaire d'Albi.

vignette Albi 1555

 
DIFFÉRENCES TYPOGRAPHIQUES
Il n'existe aucune différence orthotypographique entre les tirages de 1555 pour l'épître à César (cahiers A et B). En revanche certaines pages contenant des quatrains ont été retouchées et le plus souvent améliorées dans le retirage de juin 1555. Dans son introduction à l'édition de 1555, R. Benazra ne signale qu'une vingtaine d'"anomalies typographiques", c'est-à-dire de différences typographiques entre le premier tirage de mai et le second de juin (Benazra, 1984, p.16 ; cf. CN 200). Il y en a beaucoup plus. Par exemple, pour la lettre majuscule /Q/ à queue courte ou longue, il ne signale que les quatrains II.2 et II.41. En réalité au quatrain II.2, le /Q/ de "Quand" est mal encré dans l'exemplaire d'Albi et les deux majuscules sont à queues longues. En revanche, on trouve des queues courtes au quatrain II.41 mais aussi aux quatrains I.89, II.24, II.27 et II.38 ("Quand" et "Que") dans l'exemplaire d'Albi, alors qu'elles sont longues dans celui de Vienne. C'est l'inverse au /Q/ de "Quand" pour le quatrain II.3.

DIFFÉRENCES ORTHOGRAPHIQUES
Les différences orthographiques entre les deux impressions de 1555 et l'édition lyonnaise de 1557 seront signalées dans mon édition des trois premières centuries. Pour les parutions de 1555, les corrections orthotypographiques apparaissent sur une vingtaine de pages sur un total de 75 pages pour les quatre centuries. On pourrait s'interroger sur l'orthographe du mot "quand" dans l'édition Bonhomme alors que le terme est plus souvent orthographié "quant" à cette époque. Il semble que ce soit précisément une habitude et une particularité de l'imprimeur Macé Bonhomme : en témoigne une série de vers extraits de l'Imagination poetique de Barthélemy Aneau, édité par l'imprimeur lyonnais en 1552 :

QVAND SE BATTENT, ILZ SONT DEVX
(p.19)
Quand le mary à la femme s'assemble (p.20)
QVAND Brasidas eut le corps traversé (p.26)
C'estasavoir quand de l'amour de Dames (p.28)
Quand elle sent estre bien desirée.
Mais quand el'voit que d'elle on ne tient compte
(...)
CAR Quand la vache au Tor ne faict arrest :
Le Tor aussi s'en va en la forest.
Et quand l'amie à l'amant ne faict part :
L'amant aussi de l'amie depart.
(p.28-29)

CURIOSITÉ NUMÉROLOGIQUE

Il existe 5 nombres écrits en chiffres romains dans l'édition Bonhomme : aux quatrains I.7 (14), III.56 (23), III.96 (13), IV.11 (12), et IV.30 (11). Les deux derniers sont retranscrits en lettres dans l'édition Du Rosne : "douze" et "vnze". Le total des numéros des quatrains concernés est de 200, ou en tenant compte de leur ordre centurique, de 1200 (7 + 256 + 296 + 311 + 330) : un nombre qui rappelle les 1200 écus pistoles du Testament (CN 177). Cette série de nombres 14-13-12-11, interrompue par le nombre 23, serait à rapprocher de la série des quatrains 13 à 17 de la centurie II, incorrectement numérotés (cf. supra). Le nombre 23 est celui des lettres de l'alphabet de l'époque et serait à mettre en relation avec "le code" de chiffrement des quatrains (cf. CN 69).

Albi, 30 septembre 2020

 
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Patrice Guinard: Étude technique et anatomique
des premières éditions lyonnaises (1555 et 1557)

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30-09-2020
© 2020 Patrice Guinard