CORPUS NOSTRADAMUS 69 -- par Patrice Guinard
 

Le code de Nostradamus
 

Mon étude 68 du CORPUS NOSTRADAMUS a suscité, depuis quatre jours à peine, un grand nombre de réactions, enthousiastes ou hostiles, qui m'obligent à cette mise au point. Résumons le schéma : 46 lettres droites insérées dans des vers en italiques, dont la plupart (respectivement 11 et 22) figurent aux pages 47 et 48, donc après 46 pages. Par ailleurs leur distribution corrobore et souligne l'ubiquité des "nombres du Testament" (3, 11, 13 et 22) découverts par Daniel Ruzo en 1962. En effet les 46 lettres (2 fois 23) sont réparties en 3 séries : 11 au recto du feuillet C8, 22 au verso du feuillet C8, et 13 éparses, dans un ouvrage imprimé sur 69 pages (3 fois 23). Peut-être même n'y a-t-il de "code" que cette confirmation des quatre nombres qui sont une sorte de signature cryptée de tous les ouvrages de Nostradamus (cf. p.ex. le dispositif de l'Orus Apollo, CN 28, Annexe B).
 


 

Les 41 termes impliqués dans l'agencement des 46 lettres droites sont les suivants :

{Terre}, Faictz, Troie, Voir, Tu, aymé, Roy Lycurge, clair,
Athlete, serf, gueule, Ne peult, grand besoing, fortunes, facons, les
heureusement, Agille, Tresbien, homme cognoistre, faictz, honneur, Assavoir, vient getter, vibree, legiers, y, foy, vray, Toutes, choses, vaines
fer, {Le}, Tout, feutz.

Ces 46 lettres (= 2 × 23) peuvent être mises en relation avec l'alphabet latin classique qui ne comprenait graphiquement que 23 lettres (cf. par exemple le tableau donné par Gaspar Paucer, dans Les devins (1ère édition 1553 ; trad. franç. Simon Goulart, Anvers, Heudrik Connix, 1584, p.344 : chacune des lettres est mise en relation avec des nombres qui se succèdent selon une suite arithmétique ; lire dans le tableau qui suit la lettre P associée au nombre 120, transcrit "210" par erreur).
 

 

Les nombres impliqués dans l'agencement des lettres droites se rattachent à ceux du Testament comme à ceux de l'Orus :
- Hormis le T de "Terre" et le L de "Le" (cf. supra), il existe 11 ou 13 lettres différentes (= A, b, f, F, g, h, l, N, T, v, V, y, z) selon qu'on prenne en compte ou non les majuscules.
- Les lettres droites sont cachées dans 39 (= 3 x 13) ou dans 41 termes (cf. l'Orus) selon qu'on prenne en compte ou non le T de "Terre" et le L de "Le".
- La lettre N, au centre du dispositif de Peucer, vaut 91 (= 7 x 13).
- Le texte est constitué de 100 lignes en italiques auxquelles on pourrait ajouter les 4 vers latins : ce dispositif rattache la traduction de Galien à celle d'Horapollon (cf. CN 28 : les 100 + 4 pièces versifiées au premier livre de l'Orus Apollon).

Le temps estoit quant la terre engendra,
L'homme mortel, par sa science infuse :
Quant l'art iactrice Barbare parfondra,
Le grand Galen qui lors estoit confuse.
Terre, immortelz nourissoit, quant diffuse
Estoit sa fame, & la porte damnable:
D'Enfer vuydee, par art des mains qu'il use,
Par sa doctrine iactrice tant loüable.

Volventur saxa litteris & ordine rectis,
Cùm videas Occidens & Orientis opes :
Ganges indus, tagus, erit mutabile visu,
Merces commutabit suas uterque sibi.

Qui recevra par dons tout maintenant
Vaguant Oedipus banny & exilé :
De son pays ce jour humainement,
Que par nauphrage tout à esté pillé.

Gloire de sang ne t'a hault eslevé,
Ne t'a remis en si tresgrand honneur :
Ie ne suis pas icy hault sublevé,
Pour poluer mon sang par deshonneur.
Certes nous sommes beaucoup plus excelens
Que n'ont esté noz peres ne aïeulx,
En chascun faict memorables vaillans,
Qu'on voit la gloire luyre devant noz ieulx.

--Nous avons fouy le pourceau Boetique.

Vienne perir que plus ne me soit veüe,
La belle forme du corps que m'a perdüe.

Ne passes pas ce terme si est saige,
Prends la beaulté au millieu de l'eage:

--Le furieux & sot entend l'affaire.

Ne viens tu pas traicter en ta maison,
Le faict souafve du conjoinct mariage.
Aller chez toy prens chemin par saison,
Faictz cevenable, faictz traicté comme saige.

--A Troie vint un sur tous autres beau.

Quant quelcun n'a de corps la belle forme,
Par beau parler le vient Dieu lors orner :
Sa forme laide à bien parler conforme :
Sur luy les ieulx ont fix quant vient parler,
L'on s'esjouist voir sa face de bon aër :
Sans soy faillir il parle comme saige,
D'une couleur naifve à son visaige :
Sus eminent en toute l'assistance,
Que comme Dieu on vient à personnaige :
Voir, quant marcher par la cité s'avance.

Tu es venu Lycurge, o Roy louable,
A mon tresriche & honnorable temple :
A Iupiter ayme & agreable.
Et comprins hault sus l'Olimpe si ample.
Si tu es Dieu ou homme je contemple,
O Roy Lycurge la tienne deité
I'espere bien que ton sainct front & temple
Sera faict Dieu plain de divinité.

Qui en mon temple entrer dedans souhaite
N'y entre poinct murtrier du clair Poete.

Maulx infinis sont par toute la Grece,
Nul mal n'est pire d'Athlete l'espece :
Premier ceulx la guiere bien ne conseillent
Dans leur maison ne à leur profit ne veillent
Premier quant est permis prevoir cest estre
Mais dictes moy comme pourroit cognoistre,
Richesses aquerre le serf en la personne,
Qui à la gueule & au ventre s'adonne :
Qu'il puisse vivre en sa maison sans soing
Ne peult apres de son bien grand besoing :
De ses fortunes ne se soubstient content,
Car qui apres à esté en tout temps :
Par coustume en facons bien honnestes,
Souvent se tornent en les artz deshonnectes.

L'homme vaillant heureusement versé
Agille aux pieds, legier en la palestre :
Ou bien getter le plat au trou persé,
Et bien à droit sur tous poincts le voit estre
Tresbien les coups de son homme cognoistre,
Par tous les faictz vient vaincre sa partie
Vient raporter comme vaillant & dextre
Couronne aquise d'honneur en sa patrie.

Assavoir mon si on viendra prelire,
Par Mars ouvert contre ses ennemis,
Par main que plat vient getter & plier,
Ou par aspic vibree il sera mis :
Des pieds legiers la n'y sera commis,
Nul sur ma foy pour bien le vray deduire
Toutes ses choses sont bien vaines ormis,
Lors que le fer commencera de luire.

Le commun peuple & hommes repousoient,
Par doulx sommeil surprins (toute la nuict)
Les grans seigneurs aussi trestous dormoient,
Le corps par somme ne prenoit nul ennuict
Le mordicant sommeil donnoit deduict,
L'homme assoupi par sommeil amiable :
Et nul sommeil n'avoit encores induict,
Les malheureux Athletes miserables.

Ne viendra l'on donner l'aspre bataille,
Ou faire guerre comme ennemis, par main :
Sus platz pourtans ne fraperont de taille,
Tout cela n'est pour fraper que cas vain :
Rien pourroit il des piedz l'agil & sain,
A deschasser ennemis des cités :
De tout cela ne sont que vanités,
A mon advis nulz seroient excités,
Mesmes quant bien tous ces gents je cognois :
Vain feutz tout quant à la verité,
Si l'on voyoit par lors luyre l'harnois.

 

Notons en outre la présence étonnante d'un L majuscule italisé, placé entre crochets à la fin de l'adresse "salut & felicité." (f.A2r). Ce [ L ] relie évidemment les deux adresses des éditions Antoine du Rosne. Nous sommes donc en présence d'un dispositif consommé, mais qui n'a pas encore livré ses secrets.
 

 

Certains se sont opposés catégoriquement à la possibilité d'un code dans les écrits nostradamiens, alors même que Nostradamus passe évidemment, et à juste titre, pour un auteur hermétique. Il semble bien que l'idée d'une dimension ésotérique ou cryptographique de son oeuvre effraie certains esprits habitués aux méthodes de raisonnement qui leur ont été inculquées à l'école. On m'a fait remarquer que les lettres romaines -- les lettres droites comme les appelle Nostradamus --, insérées au sein des pièces versifiées en italiques, pouvaient être dues à une mauvaise manipulation d'apprentis typographes qui auraient mélangé les poinçons dans les boîtes. La même personne ajoute que les bizarreries pourraient encore s'expliquer par l'écriture hésitante du manuscrit que les imprimeurs auraient strictement reproduite.

Ces deux interprétations sont contradictoires et supposent des scénarios extrémistes et farfelus à l'opposé l'un de l'autre : dans un cas on admet une incompétence exagérée de l'imprimeur, dans l'autre au contraire sa minutie à reproduire exactement le détail du manuscrit !

Malheureusement pour cette seconde hypothèse, les extravagances supposées de l'écriture de Nostradamus ne se retrouvent ni dans le manuscrit de sa traduction d'Horapollon (cf. CORPUS NOSTRADAMUS 29 & 30), ni surtout dans d'autres pièces versifiées du texte.

Ce critique malveillant a aussi essayé de démolir ma traduction du premier vers d'une pièce latine, que Nostradamus a trouvée chez Apian et insérée dans sa dédicace ("Les repères sacrés (pierres) seront déroulés en lettres droites et en ordre"), supposant bien entendu que la présence exceptionnelle d'une pièce latine dans une préface serait l'effet du hasard, et que la mention de "lettres droites" (litteris rectis) n'aurait rien à voir avec celles qui figurent dans le texte. Jusqu'où la mauvaise foi et l'aveuglement peuvent conduire la raison égarée qui cherche à retrouver sa mangeoire !

Il ne faut pas oublier que ce prétendu avertissement aux Occidentaux donné par l'oracle sibyllin, qui daterait du début du XVIe siècle et dont l'authenticité a été contestée, proviendrait d'une colonne enfouie sous terre, appartenant à tout un ensemble. J'aurais tendance à penser, compte tenu du contexte de l'inscription latine (du Tage au Gange), qu'il est question d'alignements mégalithiques, et c'est pourquoi la traduction "repères sacrés" est adéquate.

La question est de savoir pourquoi Nostradamus a utilisé cette épigramme dans sa préface -- ce qu'il ne fait jamais -- et dans quel but. L'expression "litteris rectis" renvoie directement aux lettres romaines (droites) anormalement dispersées au sein de son texte, comme le sont les pierres sacrées dont il est probablement question dans la pièce latine.

D'autres m'ont fait remarquer -- une idée que j'avais moi-même formulée à M. Gregorio dès le 10 août -- que seule la seconde édition du même texte pourra confirmer ou infirmer l'existence de ce code, car bien évidemment les imprimeurs n'auront pas conservé les planches d'impression d'une année sur l'autre ou reproduit les mêmes erreurs de poinçons aux mêmes endroits s'il s'avérait que l'édition du même texte en 1558 comportât les mêmes bizarreries. C'est ce que je viens de vérifier ce jour avec Mme la Conservatrice de la bibliothèque municipale de Besançon, que je remercie chaleureusement pour son aide précise et immédiate. Nous avons vérifié les 33 lettres droites du feuillet C8, comptant à elles seules pour les trois quarts des lettres concernées, et ce sont exactement les mêmes.

Une autre possibilité vient immédiatement à l'esprit : l'édition de 1558 pourrait être une édition prédatée provenant de l'atelier du même imprimeur. C'est même vraisemblable, et la comparaison entre les deux éditions pourra confirmer ou infirmer si elles sont effectivement quasi identiques. Mais, précisément en ce cas, cela illustrerait l'intention de Nostradamus et de son imprimeur de faire paraître deux éditions comportant les mêmes marqueurs afin de souligner l'existence de ce code. Ajoutons que les dates choisies ne sont pas dues au hasard, puisqu'elles correspondent à la parution des deuxième et troisième volets des Prophéties, imprimés, comme je l'ai déjà envisagé, par le même éditeur Antoine du Rosne.

Un examen de l'édition datée de 1558 montre qu'elle est strictement identique à celle de 1557, y compris le N de "LYON" et le 1 de l'année, rabotés dans leur partie inférieure en page de titre. Les deux tirages ont été imprimés en même temps avec les mêmes planches, et le contour de la matrice en cuivre qui a servi à imprimer le chiffre "8" de la date portée en bas du frontispice est encore visible dans le retirage daté de 1558 -- ce qui indique une volonté délibérée de distribuer deux éditions jumelles présentant les mêmes caractéristiques.
 

 

Lorsque j'ai engagé l'étude minutieuse de la Paraphrase de Galien, j'étais loin de me douter que j'allais y rencontrer ce qu'il faut bien appeler le CODE DE NOSTRADAMUS, dont j'avais abandonné l'idée depuis plusieurs années, après l'avoir envisagée pendant près de quinze ans. D'autres avaient recherché dans cette direction et abouti à des impasses, par exemple Roger Frontenac en 1950 et Daniel Ruzo en 1975.

J'ai souhaité rendre ce code public avant même que j'éprouve la nécessité d'en entreprendre le déchiffrement, laissant à d'autres la possibilité d'en trouver l'éventuelle solution avant moi. Cependant, le déchiffrement du code (crack) devra prendre en compte les points suivants :

1. Le nombre de quatrains : 1130 (cf. Les 1130 quatrains du corpus oraculaire, CN 169)

Reste encore à comprendre le mode d'insertion les quatrains additionnels dans l'ordonnancement des quatrains, à commencer par le vide à combler entre le quatrain VII 42 et le quatrain VIII 1.

2. La durée des prophéties : 687 ans de 1555 à 2242 (cf. la Lettre à César, 26, CN 33)

Reste toutefois à savoir quel serait le mode de répartition des quatrains au sein de cette durée : progression arithmétique, distribution logarithmique, répartition aléatoire, etc.
(Éric Calendrier a assigné ce nombre 687 aux vocables "NOSTRA ADAMUS" (mais seulement 686 dans le nom de NOSTRADAMUS : 40-50-90-100-80-1-4-1-30-200-90) à partir des équivalences numériques données par Agrippa : cf. Agrippa, La philosophie occulte, II 20, trad. franç. Le Vasseur, La Haye, R. Chr. Alberts, 1727, vol. 1, p.288 ; Éric Calendrier, La dernière Pâques, Paris, Sang de la Terre, 1997, p.187).

3. Le code permettant d'ordonner les quatrains.

Reste à identifier le nombre exact de lettres appartenant au code, la formule précise résultant du code ou plus précisément du séquencement correct du code, la conversion éventuelle de cette formule par un procédé numérologique simple, et l'identification des marqueurs et des séquences qui n'appartiennent pas à la série mais qui instruisent le code (comme pour le code génétique).
 
 
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Patrice Guinard: Le code de Nostradamus
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13-08-2007 ; last updated 13-04-2018
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