CORPUS NOSTRADAMUS 245 -- par Patrice Guinard

Fille de l'Aure, asyle du mal sain. Le quatrain de la fin des temps


Fille de l'Aure, asyle du mal sain,
Où jusqu'au ciel se void l'amphitheatre,
Prodige veu, ton mal est fort prochain,
Seras captive, & des fois plus de quatre.


Le message essentiel du livre des Prophéties, malgré sa kyrielle de massacres, de catastrophes et de fléaux, est l'avènement d'un nouvel âge d'or pour l'an 2242 (CN 112 et CN 33, § 26). Le quatrain de l'extinction de l'humanité et de la disparition de l'espèce humaine n'appartient pas strictement au corpus prophétique mais a été confié par Nostradamus à son secrétaire Chevigny pour être transmis à part. Dans le Janus Gallicus, il est numéroté VI.100 et remplace le quatrain latin à la fin de la centurie VI.

Chavigny l'interprète ainsi (Janus Gallicus, pp.108 et 218):
Juin 1562 : "Sac & prise d’Aurange sur les Protestans par le Comte de Sommerive le 6 de Iun.
Il appelle Aurange poëtiquement fille de l'Aure, pource qu'estant le lieu eslevé sur le clin d'une montagne, il est ordinairement agité des aures & vents.
Et l'appelle asyle de l'Huguenot, pource qu'icelle ville a retiré de long temps les fugitifs du pays.
Ils nomment tel amphitheatre le Cyre, ayant de front un des beaux pans de muraille antique, qui se puisse voir.
Quelque mois au paravant la prise d'icelle, deux Soleils furent veus, l'un à l'Orient, l'autre à l'Occident, avec un arc au ciel panchant sur ladite ville."

Dec. 1573 : "Glandage, Capitaine Daulphinois se saisit de la ville & chasteau d'Aurange en ce temps, & quelques mois apres en est dechassé."
(d'après La vraye et entiere histoire des troubles et guerres civiles de Jean Le Frère de Laval, et L'histoire de France de Paul-Émile Piguerre)

Ruzo estime que le quatrain est apocryphe car trop descriptif et prolixe, manquant "de la concision propre à notre prophète dont chaque quatrain est une synthèse philologique" (1982, p.324). En effet l'allusion au théâtre antique d'Orange semble assez explicite, mais la désignation astucieuse de la religion réformée comme un "mal sain" est un oxymore qui trahit pourtant assez bien le style nostradamien.

Pourquoi Chavigny aurait-il introduit ou forgé un quatrain controuvé alors qu'il n'est pas même en mesure de l'éclaircir totalement : en effet la fin du dernier vers n'est pas expliquée, et Chavigny se contente de ne relever que deux assauts militaires sur le bastion protestant, parmi les quatre suggérés. Et ce n'est qu'après un siècle que Louis XIV ordonne la destruction de la citadelle d'Orange (1673), avant de conquérir définitivement la principauté et d'en expulser les protestants (1703).

Ainsi se parachève une première lecture, assez triviale, du quatrain. Cependant je crois que Chavigny, qui adapte et arrange volontiers les vers de Nostradamus à son goût et à son entendement, aura transformé l'expression initiale "Fille de l'Aure", car le quatrain se situe dans un tout autre registre, mythologique et cyclique. Il s'agit donc encore ici d'un "janus bifrons" (cf. CN 226), c'est-à-dire un quatrain polysémique (ou plutôt bi-sémique), et il faudra plutôt lire à son entame : "Fille d'Aurore" !

Car Aura (l'Aure du quatrain), la personnification grecque de la brise, n'a jamais eu de fille. En revanche l'Éos grecque (l'Aurora latine), la soeur des luminaires Helios et Selene, accouplée à Astraeus ou Astraios, a engendré les 4 vents cardinaux que sont Boreas au Nord, Eurus à l'Est, Notos au Sud et Zephyrus à l'ouest (selon Homère), les 5 planètes que sont Phainon (Saturne), Phaethon (Jupiter), Pyroeis (Mars), Phosphoros (Venus) et Stilbon (Mercure), ainsi qu'une fille unique Astrée (Astraea). Selon Ovide, la vierge Astrée fut la dernière divinité céleste à quitter les humains et à abandonner la terre ruisselante de sang (pendant l'âge de fer) pour se réfugier et se métamorphoser en la constellation de la Vierge : "et virgo caede madentis ultima caelestum terras Astraea reliquit" (Métamorphoses, I.149-150).

Aurora est donc la déesse des sphères sublunaire et planétaire, et sa fille Astrée, la déesse vierge de l'innocence et de l'équanimité, celle des astrologues. C'est ainsi que l'entend Nostradamus et aussi Virgile au début de sa IVe églogue (cf. CN 112) : "Il est venu, ce dernier âge prédit par l'oracle de Cumes : voici que se renoue et recommence la grande chaîne des siècles. Déjà reparait la vierge Astrée et revient le règne de Saturne. Déjà descend des cieux une race nouvelle." (Bucoliques, in Oeuvres, vol. 1, trad. Gustave Hinstin, Paris, Alphonse Lemerre, 1891, p.38). Et c'est dans ce cadre du retour de l'âge d'or saturnien qu'il faut comprendre le quatrain.

En effet le cycle trithémien vaut 354 ans 4 mois, et le grand cycle planétaire (gouverné tour à tour par chacune des planètes du septénaire) vaut 2480 ans 4 mois. La date de 2242 marque le début du quatrième cycle et le nouvel âge d'or annoncé aux Prophéties (CN 112). Et comme Astrée reviendra "plus de quatre" fois, c'est à dire au moins cinq fois, il faut compter deux autres cycles (valant environ 4961 ans) à partir de l'an 2242. Ainsi l'humanité, après 5 cycles de 2480 ans 4 mois et 5 âges d'or, s'éteindra en 7203. Il faut aussi lire "plus de quatre" millénaires après le renouveau de 2242, soit presque cinq en 7203. Alors "des fois" se lit aussi "deux fois" (plus de quatre) : 5 âges d'or au total, et presque 5 millénaires après le renouveau de 2242.

Le quatrain isolé, rapporté par Chavigny en remplacement du quatrain latin, n'appartient ni aux 10 centuries des Prophéties, ni aux supposées centuries XI et XII fort incomplètes dont il ne transmet que quelques quatrains épars. Il n'appartient pas au projet oraculaire qui court jusqu'en l'an 2242, date marquant la fin des Prophéties : car à lui seul, il signe le terme de l'aventure humaine. Et pour preuve qu'il ne se rapporte qu'accessoirement à la ville d'Orange : le sujet grammatical et le protagoniste du quatrain est à la fois une personne (Fille de l'Aure ou d'Aurore) et un lieu ("Où se void..."), et seule une constellation peut se voir "jusqu'au ciel".

En outre, en ajoutant les 7 millénaires mentionnés au quatrain X.74 et dans les traditions eschatologiques et notamment joachimiste, aux 4 millénaires depuis la Création au Christ stipulés par Nostradamus dans sa dernière chronologie, celle de son Almanach pour 1566 (3967 ans dans le texte mais 4056 ans calculés), on obtient un total de 11 millénaires. Or le nombre 7203 soustrait à ces 11.000 ans donne exactement la date de 3797, celle précisément mentionnée dans la préface à César comme marquant la fin ultime de la Prophétie (CN 33, § 26) !

7203 (extinction de l'espèce humaine) = 2242 (avènement du 4e âge d'or) + 4961 (durée des deux derniers grands cycles) = 11000 (11 millénaires) - 3797 (date cryptée de la fin des Prophéties)

Fille d'Aurore, asyle du mal sain,
Où jusqu'au ciel se void l'amphitheatre,
Prodige veu, ton mal est fort prochain,
Seras captive, & des fois plus de quatre.


Astraea, fille d'Aurora et entité divine qui régit les cycles et âges de l'humanité, impulsant à chacun de ses retours un renouveau qui évolue inéluctablement vers la déchéance, sera captive à cinq reprises et se réfugiera dans la constellation de la Vierge (en forme d'amphithéâtre) à chaque déclin et dégénérescence de l'espèce humaine.

 
constellation de la Vierge, Virgo
 
Integre Quaero Atque Reperio, Roma, 4 avril 2020

 
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Patrice Guinard: Fille de l'Aure, asyle du mal sain. Le quatrain de la fin des temps
http://cura.free.fr/dico8art/2004aurora.html
04-04-2020 ; updated 07-04-2020
© 2020 Patrice Guinard