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Pour l'astrologie! -- Mais laquelle?
(Actes du Colloque de Paris -- Déc. 2000)
par Patrice Guinard


L'astrologue et le charlatan

"Pourquoi rejeter sur l'art la faute de l'ouvrier, et faut-il blâmer une science, parce que ceux qui la veulent exercer sans capacité en abusent?" (Eustache Lenoble, Uranie)
 

Je souhaite à tous la bienvenue au dernier congrès astrologique francophone du millénaire. Jacques Halbronn organise des congrès astrologiques depuis 1974-1975. Il a lancé en France la dynamique des congrès, et la plupart des astrologues français y ont participé à une époque ou à une autre, de même que de nombreux étrangers.

Cette année, le M.A.U. de Jacques Halbronn s'est associé au C.U.R.A. Je souhaite que cette association soit féconde. Ce colloque sera essentiellement un forum d'échanges entre astrologues, scientifiques et historiens, un débat d'idées que j'espère fructueux, placé sous le signe d'une saine critique. Au fil du temps, les congrès du M.A.U. sont devenus, par rapport à d'autres congrès qui se sont mis en place ultérieurement, ce que le Canard Enchaîné est à Jours de France.

En soi, un colloque d'astrologie ne peut pas être un colloque comme les autres, car l'astrologie n'est pas une activité reconnue d'utilité publique, ni même digne d'estime publique. Ce serait plutôt une activité d'usage privé. Nietzsche, en 1878, note que "L'État a à défendre la science, non la religion, l'astronomie, non l'astrologie. Cette dernière reste l'affaire du particulier."

Cependant, comme l'a montré l'historien François Furet en 1978, dès lors que la révolution française et l'avènement des droits de l'homme et du citoyen inaugurent la sécularisation de la conscience morale et la dissolution de la vie privée et sociale dans le domaine public (voir aujourd'hui la main mise de l'État à tous les niveaux de l'existence individuelle dès la naissance de l'enfant: santé et hôpitaux, éducation et écoles, patrimoine et banques...), on peut se demander si l'État ne gagnerait pas aussi à gérer et contrôler l'astrologie qui a trait aux représentations mentales que la personne se fait d'elle-même et de son entourage, puisqu'elle renseigne d'abord --ou le devrait-- sur le psychisme, sur l'équilibre des "pulsions" propres à chacun, sur l'énergie des désirs, et sur la perception intime de l'environnement et du réel.

Il faudrait pour cela que l'astrologie soit une discipline fiable, qu'elle soit en mesure de présenter des indications et des résultats quantifiables et reproductibles, exploitables par les officiers de la pensée publique. Ce qui est loin d'être le cas, et fait de l'astrologie un savoir essentiellement insaisissable. D'où la relative liberté et autonomie des astrologues, qui vivent encore dans un no man's land de la pensée, exemptés des contrôles culturels qui touchent d'autres domaines. L'astrologie est une activité jouissive qui échappe au contrôle de l'État. La question que je ne cesse de me poser, quant à moi, est la suivante: Jusqu'où cette liberté est-elle souhaitable?

L'astrologie est entrée aujourd'hui dans une phase féodale: partout de petits seigneurs locaux, des condotierres insoumis, rebelles à un quelconque dessein commun. Aucune autorité centrale. Mais l'astrologue-consultant qui se retire, avec ses bibles et ses idoles, dans l'alcôve du cabinet de consultation, craignant qu'on lui ôte une partie de sa liberté, n'est-il pas en train de faire le jeu des charlatans?

D'où le paradoxe des associations de praticiens, des statuts et des codes de déontologie élaborés: Qui va définir les compétences d'un astrologue, qui va désigner celui-ci comme digne de pratiquer l'astrologie, et non celui-là? D'après quel critère? -- Certainement pas en raison de l'application, invérifiable, de règles, hasardeuses, davantage motivées par les intérêts associatifs qu'établies pour éprouver les compétences réelles du prétendant. Avant de tester les candidats, ce sont les associations et les écoles d'astrologie qu'il faudrait soumettre à l'examen!

L'astrologie est prise dans un étau, entre la désaffection des chercheurs et le mépris des intellectuels d'une part, et la rapacité des charlatans et des commerçants d'autre part, lesquels proclament, tout comme l'astrologue de cabinet, leur capacité à faire et à vendre de l'astrologie, à attirer et à satisfaire une clientèle. Qu'est-ce qui distingue le charlatan du praticien, s'ils tiennent le même discours, s'ils distribuent des chimères plus ou moins équivalentes, s'ils refusent les uns comme les autres d'apprendre et de se parfaire, s'ils adoptent une attitude strictement identique face à la recherche? L'argument d'autorité? Les coups de semonce des petites idoles de chapelles?

Ce n'est pas aux institutions de trancher le débat, puisqu'elles ne se soucient pas du destin de l'astrologie, et que l'astrologue ne souhaite pas en réalité qu'elles s'en occupent. L'astrologue d'association ne peut tout de même pas demander qu'on lui garantisse la sécurité de son cocon, alors qu'il se refuse à s'exposer au débat d'idées. Il rêve que l'État le garantisse contre les charlatans, comme au temps d'Alfonso X le Sage, alors qu'il n'est pas prêt à soutenir la recherche, et qu'il est même enclin le plus souvent à la nier, si ce n'est à l'obstruer, comme j'en ai fait l'expérience depuis plus de dix ans.

Alfonso avait pris des mesures judiciaires contre les usurpateurs et les incapables, mais octroyé des crédits pour l'édition, la traduction et la recherche. Il en va de même à toutes les périodes de progrès de l'astrologie. Car le prix à payer pour la liberté dont jouissent les astrologues est tout simplement l'absence de moyens pour la recherche. Le monde des astrologues reste un champ culturel marginalisé, à l'écart des dispositifs étatiques, contrairement à la psychanalyse qui a su s'adapter à l'idéologie moderne.

Il n'y a qu'une solution: que les associations d'astrologues-praticiens appuient les efforts de la recherche -- qu'elle soit d'ordre historique, psycho-statistique, scientifique, anthropologique ou philosophique -- et que chaque praticien verse une taxe ou un tribut à la recherche -- comme c'est le cas pour la médecine. C'est la seule règle de "déontologie" qui vaille. Cette taxe ne signifie pas que la recherche validerait les pratiques exercées (consultations, cours, horoscopes des journaux, commerce Minitel et Internet...), mais qu'il y a un prix à payer pour avoir le droit d'utiliser ou d'usurper le titre d'astrologue.

Alors un débat international pourra être mis en place à condition que chaque astrologue digne de ce nom, dise 1) quelle est l'expérience initiale qui l'incite à prendre l'astrologie au sérieux, 2) en quoi consiste sa pratique de l'astrologie, 3) quels sont les éléments et les techniques qu'il utilise, 4) quelles sont ses sources, et pourquoi il les a choisies, 5) quelle est la logique intrinsèque (s'il y en a une!) de son modèle de l'astrologie, et enfin, 6) quelle est sa conception de l'histoire de l'astrologie et de l'évolution des modèles. Il n'est pas d'issue pour l'astrologie hors de ce débat.

La mise à l'écart de l'astrologie du champ du savoir date du XVIIè siècle. Après la catastrophe des "Lumières" au XVIIIè siècle et des positivistes du XIXè, l'astrologie a même perdu le droit de figurer honorablement dans les traités historiques, et ce malgré son ubiquité et le statut rayonnant (la reine des sciences) qu'elle a pu revêtir dans le passé. Son statut ambigü fait qu'elle n'occupe qu'une place mineure et occasionnelle, souvent même inexistante, dans les différentes histoires, que ce soit l'histoire des sciences et de l'astronomie, l'histoire de la philosophie, ou l'histoire des religions.

Cet état de fait est en train de changer: à Seattle, à Southampton, à Saragosse, à Amsterdam. Il faut donc souhaiter que ce congrès participe à ce renouveau et suscite des vocations pour la recherche. Certains obscurantistes croient que le retour de l'astrologie à l'université relève du fantasme, et minimisent même la place qu'elle ait pu y occuper dans le passé. Ce sont précisément les mêmes obscurantistes qui président ou encore honorent (!) les diverses petites associations depuis plusieurs décennies, temps largement nécessaire pour avoir fait la preuve, sinon de l'impossibilité pour l'astrologie de réintégrer l'université, du moins de leur incompétence!

Ce colloque sera consacré à la recherche, ne leur en déplaise. L'intitulé annexe du colloque, de Nostradamus aux Gauquelin, souligne le prestige et l'influence de la pensée "astro-ésotérique" française dans le monde. Il n'est pas d'auteur, dans le domaine de la prophétie, qui ait eu un rayonnement comparable à Nostradamus. De même les travaux contemporains de Michel et de Françoise Gauquelin ont connu un impact considérable à l'étranger, si bien qu'ils sont devenus, pour la recherche astro-statistique, un point de départ incontournable. "L'effet Mars" est discuté à l'envi par les chercheurs anglo-saxons (et aussi par les comités de sceptiques universitaires), si bien que j'ai pu parler d'un "effet Gauquelin" sur la recherche psycho-statistique anglo-saxonne.

L'objet même du colloque, les Frontières de l'Astrologie, peut être compris de deux manières:

Quelle est la perméabilité des frontières entre l'astrologique et le non-astrologique. L'astrologie est-elle en mesure de définir ses propres frontières? Quelle astrologie? Et qui peut parler en son nom? L'astrologue est-il l'astronome-philosophe de jadis? Le praticien qui dresse des thèmes et revendique le statut d'astrologue professionnel, parce qu'il a une clientèle, donne des cours, et/ou appartient à une association, est-il en mesure de définir ce qu'est l'astrologie, et les frontières de celle-ci avec ce qu'elle ne serait pas?
 

L'astrologie entre savoir et croyance

"Et pas seulement les activités, mais aussi toutes les guerres, tous les gouvernements, et tous les produits de l'esprit, reçoivent leur impulsion des astres, maintenant et pour toujours. Et tous les musiciens et artisans seraient-ils morts, ce maître d'école subsisterait ... et continuerait encore d'en instruire de nouveaux." (Paracelse, Astronomia magna)
 

L'astrologie est-elle ce que font les astrologues? Ou est-elle au-delà de ce qu'ils font? Toutes les interprétations et les discours tenus par les astrologues, sont-ils légitimes en raison du seul fait qu'ils existent? Ou bien existe-t-il un champ de la connaissance, l'astrologie, qui serait à découvrir, un savoir avec ses lois, ses impératifs et ses contraintes, comme la mathématique, ou plutôt une mise en perspective du savoir, relativement indépendant de ce que les modèles et les communautés astrologiques ont développé dans le passé?

Autrement dit l'astrologie est-elle une branche autonome de la connaissance humaine qui détient, en tant que savoir, un potentiel intrinsèque de développement, ou n'est-elle qu'un simple reflet d'une activité circonscrite par ses aléas culturels et historiques?

On pourrait en revenir à l'astrologie du passé, à l'astrologie grecque des Schmidt et Hand, ou à l'astrologie médiévale des Zoller et Bezza. Il faudrait savoir en quoi cette connaissance de l'astrologie est susceptible d'éclairer une vision moderne de l'astrologie. Car il n'existe qu'une astrologie: celle présente, et surtout à venir. Le Project Hindsight de Robert Schmidt n'est pas concevable sans un Project Foresight à la Elwell (auteur de Cosmic loom, éd. rev. 2000).

La connaissance de l'histoire de l'astrologie n'a pas pour objectif l'imitation des Anciens, ou la disqualification de l'astrologie présente (comme pour l'historien), mais la compréhension de l'évolution des modèles astrologiques: la raison d'une multiplicité de modèles tout au cours de son histoire est liée en grande partie à l'échec des prédictions. Comprendre les erreurs du passé, à commencer par l'asservissement de l'astrologie à la philosophie aristotélicienne, c'est aussi donner à l'astrologie une perspective et un avenir.

Existe-t-il une unité à travers les pratiques, interprétations et discours qui se réclament relever de l'astrologie, ou sont-ils contradictoires les uns avec les autres? Qu'est-ce qui "marche" en astrologie? Le sentiment que l'astrologie marche est-elle simple auto-suggestion? Relève-t-il d'une harmonie et d'une vérité qui dépasse les limites de l'entendement? L'astrologie résulte-t-elle d'une stricte influence que la science moderne serait en mesure de cerner si elle prenait la peine de s'y atteler? Rationalité ou irrationnel?

Il n'existe que trois réponses au fait astrologique:

J'ai proposé l'explication suivante de la naissance du fait astrologique: C'est parce que le signal astronomique innerve en permanence la conscience, et laisse des traces neuro-psychiques, que le symbole est possible. Causalité donc, car origine énergétique extérieure, du moins en apparence. Synchronicité encore, en ce sens qu'il y a coexistence et simultanéité spatiales de réalités séparées: des processus sont coordonnés, ici dans la conscience et là dans le cosmos, au sein d'une dynamique commune. Cyclicité aussi, car ces résonances n'imprègnent la conscience que par la répétition temporelle de phases, de cycles et de rythmes. Matricialité enfin, car ces rythmes ne peuvent s'enraciner vraiment qu'en raison d'une cristallisation d'ordre structural.

Autrement dit la causalité est synchrone, la synchronicité est cyclique, et la cyclicité matricielle. Parmi les quatre conceptions de l'astrologie (causalité, synchronicité, cyclicité, et matricialité), seule la dernière est susceptible de rendre compte de la réalité astrologique dans sa totalité.

Et la Matrice n'est pas, définitivement, ce que certains entendent par là, notamment Jacques Halbronn qui s'est récemment emparé de ce terme ("approche matricielle" ou "matricialiste" du ciel), suite à sa lecture de mon Manifeste. Il n'y a pas lieu de parler "d'astro-matricialistes", car toutes les approches de l'astrologie sont "matricialistes" par définition, y compris la sienne, dès lors qu'elles mettent en place un modèle, serait-il celui réduit à Saturne, aux luminaires et à deux étoiles. La première proto-astrologie des hommes du paléolithique était plus simple encore: elle ne comprenait que le Soleil et la Lune, ce qui ne l'empêchait pas, déjà, d'être matricielle.

La Matrice est le concept le plus difficile parmi ceux que j'ai introduits dans ma thèse de 1993. L'impressional et la raison matricielle ne posent pas problème; il en va autrement de la Matrice qui recoupe au moins trois choses:

Mais pourquoi est-il si difficile de justifier l'astrologie? Si la vivacité de l'astrologie n'était que la résurgence de l'irrationnel dans la culture moderne, comme l'affirment les sociologues, alors pourquoi le vaudou, la philosophie de Platon, l'alchimie ou les religions ne subissent-ils pas la même mise à l'écart des efforts de la recherche académique? Pourquoi l'astrologie, qui s'est maintenue après plus de trois mille ans d'existence dans la conscience populaire -- alors que d'autres "croyances" et religions ne sont plus que des curiosités -- doit-elle intarissablement subir l'ostracisme de la gent intellectualisante et rémunérée par les ministères? L'astrologue, incapable de comprendre qu'il s'agit d'abord d'un problème idéologique, est un paralytique. Soit l'astrologie est un savoir, alors elle est quelque part une forme, innée, de la conscience cognitive, comme l'a compris Paracelse, seul, au XVIè siècle. Soit elle n'est qu'une simple croyance, et en ce cas: qu'elle aille à la poubelle!

Référence de la page :
Patrice Guinard: Pour l'astrologie! Mais laquelle?
http://cura.free.fr/docum/10!guina.html
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