CORPUS NOSTRADAMUS 91 -- par Patrice Guinard

La première édition de l'Orus Apollo de Nostradamus par Hector Rigaux (1907)
 

François Buget avait donné dès 1861 une transcription partielle du prologue de l'Orus, ainsi que quelques extraits annexes. On a cru pendant quarante ans que la première transcription complète -- en réalité incomplète et fautive --, de la traduction manuscrite versifiée de Nostradamus, était celle du provençal Pierre Rollet (1968), rééditée à Raphèle-lès-Arles en 1993 (cf. CN 28). Depuis la vente Ruzo de New York, on connaît l'existence d'une première transcription du manuscrit, imprimée par Henri Douchet à Méricourt-l'Abbé, vers 1900 selon le Catálogo Nostradamus por Materias de Ruzo : "a small edition in the early 1900s by the Amiens printer Henri Douchet." (Catalogue Ruzo, Swann, avril 2007, n.1). Cette édition a été acquise à un prix dérisoire (210$) par la Maison Nostradamus de Salon lors des enchères. La date de parution, le 29 juin 1907, figure en ajout manuscrit de Rigaux au frontispice de son exemplaire acquis par Éric Calendrier, lequel m'en a aimablement envoyé une copie le jour de l'ingression du Soleil en Taureau 2016.

L'ouvrage de 166 pages, qui respecte le découpage initial du manuscrit et son indexation des pièces versifiées par "notes", y ajoute une numérotation tous les cinq vers, allant jusqu'au numéro 475. La page de titre indique à raison qu'il s'agit d'une "reproduction littérale d'un manuscrit inédit de Michel de Nostredame" :

091A ORUS APOLLO. FILS DE OSIRIS. ROI DE AEGIPTE. NILIACQVE. NOTES HIEROGLYPHIQUES.
Édition Hector Rigaux, Méricourt-l'Abbé, Henri Douchet, 29 juin 1907

La transcription anonyme du texte, bien supérieure à celle de Rollet, est très proche de la version que j'ai donnée en août 2006. Notons par exemple en A4 F : "astres aiant" et non "aseumant" (Rollet), en A19 D : "ceste cause desja dicte" et non "estre cause d'estre dicte" [sic], en A32 C : "reveree" et non "vénérée" [sic], en A32 L : "par ces cinq tout le monde" et non "par ces cinq tours le monde" [sic], en A90 G : "Avec sa mere s'acouple et deschasse" et non "Avec sa mère s'accepte et deschasse" [sic], en A95 I : "Nestre tasche doysiveté Immunde" et non "N'estre tasché d'or si n'été inmunde" [sic], etc. (cf. CN 29). Cependant, dans la pièce annexée A*2, qui est un acrostiche au surnom du prophète, le texte donne "raporteur" au troisième vers, quand je lis "imposteur(s)".

L'abbé Hector Rigaux (1841-1930), curé d'Argoeuves (diocèse d'Amiens) et disciple de Torné-Chavigny, est l'auteur de la transcription. Dans un article paru en 1939, Edgar Leroy, qui orthographie "Rigaud" [sic], précise que l'essentiel de la bibliothèque de l'abbé Rigaux a été légué à son confrère l'abbé Paul Boulin (1875-1933), auteur de plusieurs ouvrages sous le pseudonyme de Roger Duguet (in "Nostradamus et le Curé d'Argoeuves", Cahiers de Pratique Médico-Chirurgicale 13.5, Avignon, 1939, p.186). Certains unica des précieuses collections de Rigaux pourraient encore se trouver dans la région d'Amiens, chez quelque héritier de Boulin, décédé à Moussey au sud de Troyes.

Rigaux, fondateur de la revue Les Croisés de Marie, avait été suspendu en 1911 par Mgr Firmin Renouard, évêque de Limoges de 1887 à 1913 (selon Alain Dierkens, éd., Problèmes d'histoire des religions, vol. 2 (Apparitions et miracles), Université de Bruxelles, 1991, p.103). Leroy cite quelques propos de l'abbé Rigaux figurant dans un article de R. Normand, "Un interprète picard de Nostradamus, l'abbé Rigaud, curé d'Argoeuves", paru dans Le Journal d'Amiens et le Mémorial de la Somme (Amiens, 1936). Ces propos montrent la foi inébranlable du curé dans le message de Nostradamus, même s'il admet que ses interprètes, parmi lesquels il voulait figurer en prévoyant la fin de la première guerre mondiale pour "un onze" [novembre 1918], peuvent souvent s'égarer. C'est une dissertation en classe de Première proposée par l'abbé Martin et dans laquelle il excella au podium de la moquerie et des ricanements laïcs, qui aurait décidé de sa vocation. En fait l'article mentionné est une reprise d'un texte paru en 1928 (cf. Normand 1928) : interviewé par R. Normand "deux foix quatre heures" (p.1), Rigaux lui confie : "Les notions que vous possédez sur lui [Nostradamus], vous les devez aux encyclopédies qui ont été écrites par des ignorants. Ceux-ci se contentent de répéter des âneries, des calomnies glanées chez les ennemis du prophète et de la religion. Ce sont des baudets, Monsieur, des baudets avec des oreilles comme ça ! Qu'ont-ils lu de Nostradamus ?" (p.3). Force est de constater que la situation n'a guère évolué, au vu des actuels blogs et wikis d'amateurs semi-ignorants, qui font autorité pour le gobe-mouches désinformé.

Rigaux dénombre 47 ouvrages écrits par Nostradamus, en plus des deux volumes de centuries (Leroy, 1939, p.182), parmi lesquels pourraient figurer les Pronostications pour 1550 à 1565 et les Almanachs pour 1553 à 1567, soit 31 volumes (mais peut-être 36 dans son décompte), les Présages pour 1557 et ceux pour 1558, les Significations de l'éclipse, les traductions de l'Orus et de Galien, le Traité des Fardements et Confitures (dont Rigaux compte peut-être deux versions ou deux livres), le pseudo-traité de la Peste, l'horoscope de Rudolph (1565), la lettre à Catherine (1566) et la correspondance.

Parmi les ouvrages légués par Rigaux à son collègue, devaient figurer ses fameuses éditions d'opuscules rarissimes de Nostradamus, hélas tout aussi rares que les originaux. A ma connaissance, la bibliothèque d'Amiens n'en possède aucun exemplaire (à l'exception de la reproduction Chevillot de 1903 : cote 39192). La transcription de l'Orus serait le premier des textes de Nostradamus, réédités avec grand soin par Rigaux et confiés à son ami Henri Douchet, imprimeur de Méricourt-l'Abbé (au nord-est d'Amiens), bourgade parfois désignée sous le nom de "Mariebourg". On n'en finit pas, décidément, avec les dédales hermétiques qui marquent les éditions des oeuvres de Nostradamus, même plusieurs siècles après !

quelques reproductions de l'abbé Rigaux, 1903-1910
 

Et parmi les ouvrages réédités figurent :

- 091B la réimpression d'une édition Chevillot des Prophéties avec des quatrains inédits tirés des Almanachs de Nostradamus (1903) : cf. CN 139 et 200
- Les significations de l'Eclipse qui sera le 16 Septembre 1559 (1904) : cf. CN 74, 074K
- 238B l'Almanach pour l'an 1567 dans la version Odo (1904)
- 210B l'Almanach pour l'an 1563 dans la version Roux (1905) : cf. CN 210
- la Pronostication pour l'an 1557 (date ? ; version lyonnaise Volant / Brotot) : cf. CN 42, 042E
- 181D les Praedictions de l'almanach de l'an 1562, 1563 et 1564 (1906) : cf. CN 181
- la traduction manuscrite versifiée de l'Orus Apollo (1907) : 091A
- La Grand' pronostication nouvelle pour l'An 1560 (ca. 1908 ; version lyonnaise Volant / Brotot) : cf. CN 95, 095F
- La Grand pronostication nouvelle avecques la Declaration ample de 1559 (date ? ; version lyonnaise Volant / Brotot) : cf. CN 74, 074C

Il se pourrait que ces quelques textes dont Ruzo n'avait sauvegardé que quelques copies, ne reflètent qu'une partie de l'oeuvre éditoriale du curé d'Argoeuves.
 

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Patrice Guinard: La première édition de l'Orus Apollo de Nostradamus par Hector Rigaux (1907)
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01-06-2008 ; updated 02-02-2020
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