CORPUS NOSTRADAMUS 174 -- par Patrice Guinard

22 décembre 1565, La Lettre de Nostradamus à Catherine :
moins un an plus un jour avant son anniversaire climatérique

 

174A Letre à la Royne mere du Roy
Lyon, Jean d'Ogerolles pour Benoist Rigaud, 1566, in-8, 6 [+ 2] p.


On connaît deux exemplaires de cette lettre datée de Salon, le 22 décembre 1565, et adressée à la reine régente Catherine de Médicis :

° Aix Musée Arbaud: R 734 (10.5 x 16.5 cm ; exemplaire probable de l'abbé Rigaux) ; copie Bibli. Nostradamus
° Moscou, Bibliothèque d'État de Russie (relié à un texte imprimé par Jean Saugrain en 1565)

- CAT Le Tellier, 1782, n.3023 (in Recueil de pieces concernant les règnes d'Henry II, François II & Charles IX, depuis 1562 jusqu'en 1571)
- Baudrier 3, 1897, p.240 (d'après l'exemplaire de Rigaux)
- Cioranescu 1, 1959, n.16609, p.529
- Chomarat, 1989, n.72
- Benazra, 1990, p.78
- Brind'Amour, 1993, p.486
- Chomarat (éd.), Lyon, 1996, 28 p. (fac-similé et transcription)
- Morisse, papier de colloque, 2004, p.4 (imprimé par Jean d'Ogerolles)



  Nostradamus, Letre à la Royne mere du Roy Nostradamus, Letre à la Royne mere du Roy


Transcription de la lettre avec mes notes et remarques entre crochets :

Letre de maistre Michel Nostradamus, docteur
en Medecine, de Salon de Craux en Provence,
A La Royne mere du Roy.


L'expression "Royne mere du Roy", quoique commune, rappelle l'inscription d'Apianus rajoutée à la traduction d'Horapollon (cf. CN 28) : "Isis reine d'Égypte et mère du roi Horus" (f.10v).

Madame, ayant entendu que s'approchoyent Comitia [latin comitia ou comitiae : comices, assemblée]
de vostre Royaume, bien que vostre Majesté par quelques autres en puisse
estre advertie, * toutesfois selon le scavoir que Dieu m'a donné, & faisant
mon devoir pour mon Roy, comme serviteur tresobeissant & suject
[p.3, f.A2r]

* Nostradamus annonce à Catherine une importante réunion dont elle n'est peut-être pas encore informée. Les futurs états généraux n'auront lieu qu'en décembre 1576 à Blois. En revanche l'édit de Moulins (15 février 1566), préparé au cours d'une assemblée de Grands du royaume et rédigé par le chancelier Michel de L'Hospital, est une importante réglementation du domaine royal qui établit définitivement son inaliénabilité (et qui est considérée comme le fondement de la législation actuelle sur le domaine public).

& jouste [jouxte] la charge de mon estat, que vostre majesté me donna, Que
si par les Astres se pouvoit scavoir & entendre * le futur, j'en advertisse
vostre Majesté. Et pource par aucunes figures celestes, erigees en cest
endroit, je treuve quelque briefve prorogation de temps & de lieu, &
le tout estre en paix, amour, union & concorde, sans dissimulation, ne [ni]
simultés [du latin simultas : querelles] : combien qu'il y aura de grandes contradictions & differens.
Mais à la parfin un chascun s'en retournera content de bouche & de
coeur : ceux mesmes, à qui le retour dependra de vuyder [évacuer, i.e. les terres qui seront passées dans le domaine royal !].
Mais au reste, ceste assemblee sera cause d'une grande paix, & contentement,
par tout vostre Royaume. I'en ay fait un petit discours, que je ne me
fuis voulu aventurer de l'envoyer à
[p.4, f.A2v]

* La prescience de l'avenir est d'abord chez Nostradamus clairaudience, plus que clairvoyance (cf. la première préface à ses Prophéties, CN 33, paragr. 12).

vostre Majesté, jusques à ce(,) que je aye entendu le vouloir plus ample
d'icelle. Ce que vostre Majesté dira & fera, sera promptement dit, fait
& executé. Plaise aussi à vostre Majesté me faire envoyer la figure celeste,
Astronomique, de l'an x v i j [du 17e anniversaire] * du Roy treschrestien, vostre fils, pour
faire l'explication bien au point : pour ce que je trouve en icelle annee,
quelque grande & tresfelice fortune de paix longue, en son Royaume. *
Mais qu'elle soit exactement calculee, pour la conferer [comparer] avec la
mienne : & je me parforceray [m'efforcerai] de faire ce que je suis tenu, pour mon Roy,
mon souverain seigneur & maistre : apres que j'auray prié le Createur
de tout le monde, vous donner, Madame, vie longue, en santé, & toute
constante prosperité, accompagnee
[p.5, f.A3r]

* Le jour du XVIIe anniversaire de la naissance de Charles IX, baptisé Charles-Maximilien, est le 27 juin 1567. Nostradamus avait établi l'horoscope et l'interprétation du jeune roi à la mi-octobre 1561 (cf. CN 135). Cependant il aurait écrit "x v i" et non "x v i i" parce que le texte date de décembre 1565 et que le prochain anniversaire du roi est pour 1566. Par ailleurs, en septembre 1567, c'est la reprise de la guerre entre factions religieuses, ce qui contredit la période pacifique annoncée au texte. Ce décalage d'une année, ignoré par Brind'Amour (1993) comme par Chomarat (1996), me semble intentionnel, et imaginé afin de voiler un autre décalage (cf. infra).

de l'entier accomplissement des Royaux desirs de vostre Majesté.
De vostre ville de Salon de Craux, en Provence, ce x x i j [22] jour de
Decembre 1565.
Avec la souscription en ces mots :

Vostre treshumble & tresobeissant serviteur & sujet, Michel Nostradamus.

Et au dessus d'icelle :

A la Royne, nostre souveraine dame & maistresse.
[p.6, f.A3v]


La présente lettre à Catherine, écrite une année environ après son passage à Salon avec son fils le roi Charles IX (17 octobre 1564) et sa rencontre avec Nostradamus, est importante à plus d'un titre. Ce n'est plus la dernière lettre connue de Nostradamus depuis ma découverte en juillet 2008 d'une lettre à Joachim de Cléron, Seigneur de Saffres, datée du 25 février 1566 (cf. CN 100), soit dix jours après l'assemblée annoncée dans la présente lettre. C'est en revanche la seule lettre imprimée de Nostradamus. Elle est importante car parue à Lyon chez Benoist Rigaud, le futur éditeur de la première version complète et posthume de ses Prophéties. A cette occasion Nostradamus aura négocié avec l'éditeur de la Lettre et futur éditeur des Prophéties les conditions de leur diffusion.

L'erreur intentionnelle d'une unité (une année) dans la Lettre (au sujet du prochain anniversaire du roi, dont Nostradamus n'ignorait pas la date de naissance) renvoie à un autre décalage d'une unité (un jour) entre d'une part les deux dernières lettres imprimées ou ayant vocation de l'être (la présente datée du 22 décembre, et la dernière lettre manuscrite de sa correspondance adressée à Jean Lobbet (Johannes Lobetius) et datée du 13 décembre de la même année) et d'autre part ses dates de naissance calculées des deux versions de son épitaphe. Outre le fait qu'on retrouve les nombres codants 13 et 22 du Testament (cf. mes articles consacrés à cette question), ce sont aussi les jours, à une année près, des dates concurrentes (cette fois à un jour près) de son 63e anniversaire, à savoir les 14 (au lieu de 13) ou 21 (au lieu de 22) décembre 1566 (cf. CN 10). Je crois que ce dispositif, cette fois encore, n'est pas un effet du hasard.

Les lettres échangées entre Catherine et son astrologue ont dû être nombreuses. Mais passés la censure, la "raison d'État" et l'activisme zélé des idéologues, il n'en reste rien, si ce n'est une lettre datée de novembre 1564 et adressée par Catherine à Anne de Montmorency (1493-1567) le connétable de France, laquelle lettre, ignorée par Chomarat en 1996 (qui croit ingénument que c'est Catherine qui aurait fait disparaître une partie de sa correspondance), mentionne le nom de Nostradamus : "et pasant par Salons, avons veu Nostradamus, qui promest tou playn de bien au Roy mon filz, et qu'il vivera aultant que vous, qu'il dist aurés avant mourir quatre vins et dis ans. Je prie Dieu que dis vroy ... etc." (BNF ms. fr. 3205, f.1 ; in Lettres de Catherine de Médicis (Supplément 1537-1587), vol. 10, éd. Baguenault de Puchesse, Imprimerie nationale, 1909, p.145 ; passage cité par Leoni en 1961, p.814). Ni Montmorency ni Charles IX (1550-1574) ne sont décédés à cet âge, et c'est sans doute pourquoi cette lettre a survécu au naufrage de la correspondance, à supposer que Catherine ait correctement interprété la formulation énigmatique de l'astrophile saint-rémois -- ce qui est improbable. Car Charles IX est bien décédé dans sa 24e année (quatre + vingt) et en 1574, soit environ dix ans ("et dis ans") après l'entrevue de Catherine à Salon en octobre 1564, et Montmorency a vécu 74 ans, équivalent à 1574 ("aultant que vous"), l'année du décès de Charles !

La prescience de Nostradamus ne pose pas problème, sauf parmi les jocrisses et les cocardiers de la raison moderne ; et l'accumulation des indices, preuves et démonstrations reste hélas sans effet sur leur infirmité chronique.


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Patrice Guinard: 22 décembre 1565, La Lettre de Nostradamus à Catherine :
Moins un an plus un jour avant son anniversaire climatérique

http://cura.free.fr/dico3/1312lettre66.html
11-12-2013 ; updated 25-10-2018
© 2013-2018 Patrice Guinard