CORPUS NOSTRADAMUS 151 -- par Patrice Guinard

Villayer : Une curieuse prédiction de Nostradamus, consignée au milieu du XVIIe siècle
 

La biographie nostradamique est truffée d'anecdotes plus ou moins fantaisistes, comme celle des cochons des Florinville au château de Faim près de Bar-le-Duc, rapportée par Giffre de Rechac dans son Eclaircissement en 1656 (p.39-42) et reprise à l'envi par les biographes du voyant. Celle relatée à la même époque par Gédéon Tallemant Des Réaux (1619-1692) dans ses Historiettes, me paraît authentique, tant s'y perçoivent la manière et le comportement énigmatiques de Nostradamus. Reste à savoir si les prédictions annoncées furent exactes.

"Il y a icy un maistre des Requestes, nommé Villayer [Jean Jacques de Renouard de Villayer], qui dit que son pere [Guy Renouard ou Regnouard] estoit fort des amys de Nostradamus, et voicy ce qu'il en conte. Un jour Nostradamus luy dit : "Je veux vous dire vostre fortune et celle de vos enfans ; mais je veux que cela soit passé par-devant notaire et en presence de six tesmoins, afin que vous ne doutiez pas de ma science." Cela fut escrit chez un notaire, comme il avoit dit. Entre autres choses il luy predit qu'il seroit marié deux fois (Villayer n'avoit alors que vingt ans), mais qu'il feroit couper la teste à sa premiere femme (cela est arrivé, il la luy fit couper pour adultere et pour empoisonnement ; en Bretagne l'adultere suffit, et Villayer estoit de ce pays-là et y demeuroit). Il luy dit qu'il en auroit une fille qui seroit mariée à un tel, dont j'ay oublié le nom ; cela arriva encore. Il luy dit aprez, que de sa seconde femme [Françoise de Becdelievre] il auroit trois filz, que deux seroient tuez à la guerre et [lire "dont" ?] l'un à un siége fameux ; ce fut à Cazal, du temps du mareschal de Toiras [au siège de Casale Monferrato en 1630, place forte défendue par Jean Caylar de Toiras en 1630]. Il dit aussy que ses // filles mourroient devant luy. Or Villayer en avoit une d'environ trente-deux ans qui estoit mariée, c'estoit une personne fort enjouée, et qui badinoit tousjours avec le bonhomme. "Tu as beau faire", luy disoit-il, "il faut que tu passes la premiere." En effect, il l'enterra." (Tallemant Des Réaux, Les historiettes, éd. Monmerqué & Paulin, Paris, J. Techener, 1862, vol. 6, p.241-242)

L'anecdote rapportée par Jean-Jacques Renouard de Villayer (1607-1691) est difficile à vérifier, car on ne sait rien de la première femme supposée de Guy de Renouard (sieur de L'Onglée et maître des comptes à la chancellerie du parlement de Bretagne en 1576), prédite guillotinée par Nostradamus. Si Tallemant ne confond pas Guy avec son père, un autre Guy, il faut le supposer né vers 1535 et de la même génération que Chevigny, le secrétaire de Nostradamus. Il aurait fréquenté Nostradamus vers 1555 (à vingt ans) et serait décédé presque centenaire (en 1633 ?), comme sa seconde femme Françoise de Becdelièvre (ca. 1570-1668) qu'il a épousée le 28 mai 1601 à Nantes. Mais s'il s'agit du fils du premier Guy, il serait né vers 1565.

L'aîné des garçons de son second mariage, César de Renouard (ca. 1605-1676), fut sieur de Drouges, magistrat succédant à son père en 1632 à la chancellerie de Bretagne, puis financier à Nantes après son mariage en mai 1635 avec la fille d'un financier breton (cf. Vincent Gallais, "La plume et l'argent. César de Renouard, magistrat et financier nantais (1603-1675)", in Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, 111.1, 2004, p.49). Le cadet Jean Jacques de Renouard de Villayer (1607-1691), conseiller d'État aux parlements de Rennes puis de Paris (1633) et inventeur des boîtes aux lettres à Paris en 1653, fut nommé Maître des Requêtes le 28 février 1636 et élu membre de l'Académie française en 1659. Le benjamin Renaud (né vers 1608) fit carrière dans les armes (et accompagna le maréchal de Toiras comme le note Tallemant) avant de d'occuper une charge au parlement de Metz. Leur soeur et aînée Marguerite (1603-1620) meurt à seize ans après avoir épousé un conseiller au parlement de Bretagne. La fille de Guy de Renouard, dont il est question à la fin de l'anecdote, serait issue de son premier mariage, ainsi que ses deux fils morts à la guerre, puisque ses autres fils furent tous magistrats et juristes.

A l'exception du décès prématuré de Marguerite, peu de faits confirment l'anecdote (pas plus qu'ils ne l'infirment), contrairement à ce qu'en pense Tallemant, faute de documents concernant la première famille de Renouard. René Kerviler (1842-1907), qui semble suivre la prédiction de Nostradamus et le témoignage de Tallemant, affirme que l'un des trois fils de Françoise de Becdelièvre (dont il ignore le nom) meurt à la campagne d'Italie de 1630 (Renaud ?), et suppose l'existence d'un quatrième fils du couple Renouard / Becdelièvre, en raison de lacunes aux registres paroissiaux de Nantes ("Jean-Jacques Renouard de Villayer, le seul académicien nantais", in Revue de Bretagne et de Vendée, 4.10, Nantes, 1876, p.277-278). On peut aussi supposer que Tallemant ait écrit "pere" pour "grand-père", et accepter Jean François et Guy Michel Renouard pour les autres fils du premier Guy Renouard, officiers sous le maréchal Charles Ier de Cossé-Brissac (1505-1563) dans les guerres du Piémont à partir de 1550 selon le Dictionnaire Généalogique de François de La Chesnaye-Desbois (Paris, 1757, T 3, p.132). L'une et l'autre de ces hypothèses restent à vérifier.


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Patrice Guinard: Villayer : Une curieuse prédiction de Nostradamus,
consignée au milieu du XVIIe siècle

http://cura.free.fr/dico3/1112cn151.html
13-12-2011 ; updated 04-10-2018
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