CORPUS NOSTRADAMUS 97 -- par Patrice Guinard

L'épître inédite à Claude de Savoie dans l'Almanach pour l'an 1560
 

Docteur honoris causa d'une quinzaine d'universités britanniques et américaines, Emmanuel Le Roy Ladurie peut se permettre de considérer l'oeuvre versifiée de Nostradamus à la hauteur de celles de Saint-John Perse et de Mallarmé, c'est-à-dire les nourrissant avec trois siècles d'avance, et bien au-dessus des moins mièvres productions existentialistes et surréalistes : mais les autres ? les fonctionnaires universitaires de moindre envergure, il leur faudra sans doute des dizaines d'années et des centaines d'études sur les oeuvres de l'astrophile provençal avant que cette perspective devienne réalité pour une minorité d'entre eux.

Il y a maintenant presque dix ans hélas que B. Chevignard s'est arrêté aux présages de l'année 1560, faute d'éditeur intéressé semble-t-il : comme le restent désintéressé(e)s, mais payées par le contribuable parce que les réseaux de bibliothèques académiques sont leur première clientèle, les innombrables presses universitaires, par ignorance de l'importance culturelle de l'oeuvre de Nostradamus, par lâcheté, et pour d'autres raisons aisées à deviner, ainsi que les éditeurs populaires trop soucieux de publier leurs soupes pop-nostradamiques à l'intention de néophytes intellectuellement pigeonnés. L'ignorance tient les rènes d'une culture inepte, inapte à distinguer de l'acuité du sens, le lissage idéologique omniprésent dans le discours, lequel est (comme on le dénonce dans la paille sans voir l'ombre de la poutre) "pensée unique", et relève avant tout d'une économie de mots d'ordre et d'une terreur, ancienne et nouveaux, auxquels elle est en permanence assujettie.

Car la modernité vit d'un processus entropique d'acculturation permanente : au final ne scintillent que les décors d'infâmes galeries ouvertes à la barbarie et au consumérisme frivole. Mais toute véritable avancée culturelle déplace les perspectives et l'ordonnancement des choses, et Nostradamus laissait déjà loin derrière lui les moins doucereux littérateurs de son temps, précisément parce qu'il n'avait pas besoin de versifier pour déployer les traits lumineux de son génie poétique. Quand le trafic pseudo-illuminé de la matière versifiée de son discours n'engrange véritablement que dans les recoins à mouche aménagés pour l'amateur, il devient ridicule de s'aventurer à délirer sur ses vers tant qu'on a pas pris la mesure du sens de sa fureur. Et certo : dans la prose de ses almanachs !
 

C'est parce que Nostradamus considérait Claude de Savoie comme son ami, quelque part comme son égal, qu'il a écrit pour cet almanach la plus énigmatique des préfaces insérées dans un opuscule de ce type. Le gouverneur de Provence était de trois ans son cadet, et il est décédé moins de trois mois avant lui. Ils avaient en commun un sens de la tolérance, et certainement aussi des sympathies, non pour la Réforme en elle-même et ses déviations dogmatiques, mais pour des intellectuels dont beaucoup se sont identifiés au projet d'une révolution humaniste.

Claude était le fils de René de Savoie (1488-1525) dit le Grand Bâtard, et d'Anne Lascaris (1487-1554), la fille du comte de Tende Jean-Antoine de Lascaris-Vintimille. Il est né le 27 mars 1507 (cf. Panisse-Passis, p.55, qui cite le document 1039 du Cabinet des titres de la BnF, p.150). Après le décès de sa première femme, Marie de Chabannes de la Palisse, il se remarie le 19 août 1539 à Françoise de Foix-Candale, fille de Jean, comte de Gurson et de Fleix. Claude est décédé à Caderache (Cadarache près de Saint-Paul-lès-Durance) le 23 avril 1566 : "son corps fut porté en l'église de la Commanderie de Saint-Jean et enterré, couvert d'une caisse de plomb, sous la porte de l'ancien choeur. Son cercueil fut marqué de cette inscription, qu'on lit maintenant attachée contre un des et murs en dedans de la chapelle du grand-maistre de Villeneuve :

LAN MCCCCCLXVI ET LE XXIII APVRIL A III HEURES ET DEMYE
APREZ MIDY EST TREPASSE DANS CADERACHE MESSIRE CLAUDE
COMTE DE TANDE AGÉ DE LIX ANS XXVII JOURS ENVIRON. VIVANT
CHEVALIER DE L'ORDRE DU ROY, CAPITAINE DE CINQUANTE HOM-
MES D'ARMES, SON LIEUTENANT EN PROUVENCE, GRAND SENECHAL
DU DICT LIEU, ADMIRAL DES MERS DU LEVANT. CY GIST MESSIRE
CLAUDE DE SAVOIE COMTE DE TANDE."


(Panisse-Passis, p.111-112, qui cite Pierre-Joseph de Haitze, Histoire de la ville d'Aix, BM Méjanes à Aix, ms 1001.
L'Histoire de la ville d'Aix, capitale de la Provence de Haitze a été imprimée à Aix (Achille Makaire, 1880-1892, 6 vols.)
 

Cette préface est exceptionnelle, car Nostradamus y conglomère une série d'événements énigmatiques et en apparence d'une absurdité inimaginable, un peu comme dans la préface à Henry II à l'entame du second livre de ses Prophéties, parmi lesquels surgissent quelques perles plus aisément identifiables. Au début et à la fin de cette préface, deux sentences ont attiré mon attention : d'abord "vostre tresillustre celsitude s'esmerveillera possible d'avoir prins ainsi une autrefois l'audace vous consacrer les predictions inserées dans le present Ephemeris de ceste année Mil cinq cens soixante" ! A condition de lire "autrefois" en un mot comme dans la préface de 1555 à César ("j'ai prédit autrefois", ou "la magie autrefois réprouvée") et non de manière triviale "une autre fois" : c'est une histoire de fous, car Claude pourrait ou devrait s'émerveiller que Michel lui ait consacré autrefois (c'est-à-dire il y a cinq ans) l'almanach qu'il est en train de lui dédier aujourd'hui, cinq ans après ! Il n'y a pas d'issue logique à cette énigme, à moins d'admettre l'équivalence du passé et du présent, et celle des protagonistes. Le lecteur se retrouve plongé dans le monde, non plus de Pythagore, mais de Philip Dick (Ubik, 1969), sachant que pour Nostradamus l'abolition des dimensions temporelles de la réalité, est le réel en soi, éternel, intemporel -- au-delà de la perception commune et d'une perspective aristotélicienne qui différencie l'avant de l'après.

L'amitié des deux hommes, de la même génération, ne justifie pas à elle-seule l'assimilation des identités ou l'ambivalence identitaire de la fin du texte : "qu'il [Dieu] nous doint la grace de passer ceste année sans famine, peste seditions, mutinements, civiles discordes, & secrettes conjurations, & me face la grace qu'avant que je meure je puisse encores une autrefois voir & parler au souverain monarque Gaulois." On retrouve "autrefois" qu'il faut lire ici "une autre fois", mais de manière étonnante, le texte glisse du "vous" (plus avant dans le texte) au "je" en passant par le "nous" ; et au lieu de confier au gouverneur qu'il redoute sa mort relativement prochaine, Nostradamus fait exceptionnellement allusion à la sienne, qui aura effectivement lieu trois mois après celle de son ami -- une manière de dire : "nous allons mourir en même temps, mais espérons que nous nous reverrons d'ici là" -- ce qui d'ailleurs aura lieu lors de l'affaire des Cabans de Provence (des catholiques extrémistes portant de longues capes) au cours de laquelle Nostradamus fut arrêté sur ordre de Charles IX le 16 décembre 1561, et protégé par son ami le gouverneur dans le château de Marignane. Claude de Tende écrit au roi le 18 décembre 1561 : "Au regard de Nostredamus, je l'ay faict saisir et est avecques moy, luy ayant deffendu de faire plus almanacz et pronostications, ce qu'il m'a promis. Il vous plaira me mander ce qu'il vous plaist que j'en fasse." (lettre BnF ms. fr. 15875, f. 421 ; citée par Panisse-Passis, 1889, p.82, reprise par Brind'Amour, 1993, p.43).

Bien sûr, ici même et moins qu'ailleurs, pour des raisons syntaxiques évidentes, on ne m'accordera pas qu'il faille lire "autrefois" en un mot, même si cette lecture est celle, je crois, que Nostradamus aura voulue pour son texte. En outre, on ne m'accordera pas plus qu'un sens doive être recherché dans ce défilement absurde de catastrophes répétitives d'ordre météorologico-militaire, si fréquentes dans les almanachs et pronostications. Mais justement cette absurdité même semble être le sens ultime à attribuer à une modernité anticipée par le voyant. Les péripéties répétitives dont il remplit ses almanachs ne sont qu'une description de notre perception du réel. Il suffit de les lire tout en visionnant les images des journaux télévisés pour se rendre compte qu'il s'agit d'une description précise, non nécessairement de ce qui se passe, mais de ce qui est montré. Car le seul monstre anticipé par Nostradamus est celui du spectacle qui a envahi les écrans privés et publics, et par suite la conscience : le monstre unique qui oblitère la perception, masque le réel, et empêche la vision.

Et si la nature, identique à elle-même et vivante, ne "bouge" pas, ou très peu (et la phyllothérapie est le meilleur remède à la psychose collective, ou l'herbothérapie de Walt Whitman ! -- et Nostradamus lui-même n'affirme-t-il pas avoir commencé par les "simples" ?), ou alors dans le mouvement même qui accompagne une agitation destructrice déracinée de toute finalité intelligente, la représentation du malaise et le sentiment d'une dégradation continuelle de l'humain au sein même des activités sociales et des aspirations individuelles se propulsent à une vitesse vertigineuse dans les consciences. Nostradamus répond à la question essentielle de la modernité : Pourquoi la conscience est-elle aspirée par le gouffre irréel qu'elle a elle-même imaginé, échafaudé, intériorisé ? Comment l'inaltérabilité supposée du monde peut-elle déboucher sur sa destruction accélérée ? Quand la volonté et la représentation reviendront-elles à une limpidité débarrassée des oripeaux et fardements dont elles ne cessent de se parer ? Nostradamus a senti, vu, entendu et dépeint l'absurdité moderne, et il n'a pu le faire qu'en utilisant des termes qui en reflètent la nature.
 
 
A  T R E S H A V L T  T R E S I L L V S T R E,
tresvertueux & puissant Seigneur Monseigneur
messire Claude de Savoye, Comte de Tende,
Chevalier de l'ordre du Roy, Admiral des mers de
levant, Gouverneur & Lieutenant general pour le
Roy en Prouvence, Michel Nostradamus son
tres-humble tresobeissant & tresaffectionné serviteur
desire Ioye, Salut, & supreme Prosperité.

Monseigneur vostre tresillustre
celsitude *1 s'esmerveillera
possible d'avoir prins ainsi une
autrefois *2 l'audace vous consacrer
les predictions inserées dans le
present Ephemeris de ceste
année Mil cinq cens soixante, &
estant asseuré de l'incomparable bonté de vostre
tresheroique excellence n'ay voulu faillir apres
la calculation d'iceluy, le vous presenter &
comme le premier & principal chief de la province
m'avez soustenu fulsy *3 & augmenté contre la
calomnie & detraction, non tant seulement des
malveuillans, mais aussi contre la venenosité des
fraudulentes langues : Tanquam sub septemplici clipeo *4, &
pource que ceste année entre les autres passées,
& de celles qui s'ensuivent, mesme de celle tant
formidable de l'an 1567 seront plusieurs & diverses
factions, & tellement diverses variables & estranges
que quelqu'un tout nouveau qui apparoistra

1. celsitude : du latin celsitudo, altesse, grandeur
2. Il y a 5 ans : allusion à l'Almanach pour l'an 1555 (cf. CN 17)
3. fulsy, ou fulsi : paré, épaulé (parfait du latin fulsio, soutenir)
4. "comme sous le bouclier recouvert de sept cuirs" : le bouclier de bronze d'Ajax dans l'Enéide, VII 220 : cf. la préface à Henry II dans Les Presages merveilleux pour l'an 1557 : Tamquam sub clipeo Ajacis.

[B2r]

estre non guieres dissemblable a flagello Dei *1 qui
ne fera du tout ses cruelles apparences de ceste
année, mais aussi que par famine & pestilence,
non guieres moins perdurables que les guerres,
combien que Mars ne soit du tout assoupy, passees,
accompagnées de plusieurs civiles factions
populaires, tant par diversité de religions que pour
la suyte d'aucuns particuliers monarques de
souveraine domination que diverses sectes, non sans
grandiss[ime] facture a la religion Chrestienne dans ceste
revolution. Ie ne trouve moins estre de craindre
que les passées, mesmes depuis l'an 1539. Mais
dans le revolu de ceste année par les precedentes
eclipses presens & qui s'approchent que le commun
populaire à esté grandement vexé, affligé,
tourmenté, & tout par le moyen de Mars, & vrayement
avant le tiers de l'année passée la plus part du
monde confessera disant que le temps de la guerre ne
fut jamais si mauvais. Certainement Mercure, le
Soleil & Iupiter conjoinctz ensemble feront bien
apparoistre de ses malings effectz, une partie
concernant les monnoyes, comptes, supputations, non
sans quelque descriment *2 à la jacture du populaire :
augmentation des Iovialistes, & plus des Mercurialistes,
tant pour alois *3, avaluations. * Mercure
dans une figure dressée avec le Soleil fera plaincte,
le Soleil assemblera le conseil sur iceluy faict
en l'année 1561 & 1562 quelque cas sortira en
effect, & a la parfin a la ruine, honte, vergongne, &

1. "par le fouet divin"
2. descriment : dévaluation, dépréciation
3. aloi : monnaie ; avaluation : évaluation, taux

[B2v]

grandis[sime] deshonneur des conseillers, & sera Malum
consilium consultori pessimum *1, & premierement
commencera en la Germanie puis es Gaules, qui
causera presques en la Chrestienté un[e] grande
mutinerie, & populaire sedition conspirée par
aucuns chefz solitaires, qui cuidant esbranler l'arbre,
& n'y aura que des fueilles tombées : puis serpera *2
en Espagne, toute l'Italie, quelque grande &
civile sedition au pays d'Anjou que redondera &
saignera continuellement jusqu'à la susdicte année
1568 une enorme & incroyable sedition se vient
atiltrer *3 conspirant les uns freres contre les autres.
Le temps est plus que non loing : les factions seront
grandes le commun peuple ne sera que de tous
costez affligé, & oppressé, & sera en quelque regne
qu'il n'est licite non moins convenable le mettre
par escript. Pictagoras *4 s'apreste a faire renaitre
un second Attila, qui a la presente année nous
menasse en plusieurs regions de l'Europe. La
calomnie que l'on me faict de la particularisation,
je ne m'estendray autrement : combien qu'a un chacun
des moys le tout est assez amplement manifesté
par le jugement des eclipses. Les semences
ne feront leur ample devoir *5, & ne seront sans
estre en un grandissime danger de defaillance pour
la bruine & gelée courante aux fleurs & apparoistra
paille & non trop suffisance de grain, accompagné
d'aucuns signes pestilents & autres maladies
atroces & fort dangereuses accompagnées

1. "Un mauvais conseil, mais pire encore pour le donneur" (cf. le traité d'agriculture de Varron : De re rustica, III 2).
2. serper : couper, tailler
3. altiltrer : nommer, marquer (Huguet), ici remarquer
4. Pythagore, théoricien de la métempsychose.
5. "les mouches a miel ne feront guieres leur devoir" (cf. la pronostication pour la même année). Année néfaste pour les récoltes, confirmée par la chronique de Jean Glaumeau : "et fut l'espace de quatre ou cinq moys sans cesser de pluvoyr, tellement qu'on ne pouvoit amasser lés biens de la terre, voyre que les bledz germoyent aux champs, et les foins porrissoyent dans les pretz." (Journal de Jehan Glaumeau, (Bourges, 1541-1562), éd. Alfred Hiver de Beauvoir, Bourges, Just-Bernard, 1867, p.110-111).

[B3r]

d'une extreme periclitation non sans troubles
innumerables qui seront obscurs et fort obnubilez
par telles calamitez qui nous adviendront ne les
fault adjuger que pour noz pechez, que Dieu
nous veult envoyer, & la plus part de ceulx qui
mourront seront de la commune plebe & des villages
nombre infini avec seditions diuturnes *1, &
sera tué & mis a mort cruellement par fureur &
rage feront exposer quelque innocent filz de l'ennemy
à la impieté de farouche beste, & cruauté
tyrannique que sera perpetrée. Le murmurement
du meurtre & fait inhumain sera grand qui
ne s'estaindra a moindre difficulté que incendium *2
combien que les scyphons des plus grandes factions
se commetront entre les regions latines & des
principaux & chiefz seront mis a mort. Sera criee
liberté, liberté pour la Republique, & celuy qui
l'aura occupée usera au triple de plus grande
tyrannie, un sera failly qui cuidant & faignant estre
ce qu'il n'est ne sera, sera noté. Le bon valet fera
ce que Polydamas feit à Parmenon *3 l'un despechera
l'autre fort bien acompagné. Devers l'esté
les aquatiles auront quelque pestilence par l'agitation
du vent Boreas. Le filz d'Aquilon & de Orythia *4
l'un d'eux sera tempté par insidies *5 a la grande
concretion du Cristal par l'intelligence d'aucuns
principaux de dedans à l'instigation de ceux
de l'Isle britannique Sed pensa & poena periit. *6
Quelque autre grand advenement adviendre [sic]

1. diuturnes : diurnes et nocturnes
2. embrasement
3. Allusion à la trahison de Polydamas, aux ordres d'Alexandre, qui transmit l'ordre d'exécuter Parménion, le vieux général d'Alexandre, aux propres officiers de Parménion (cf. Arrien, Anabase ou L'Expédition d'Alexandre, III 9).
4. Sur les jumeaux Calaïs et Zétès, fils de Borée (ou Aquilon) et d'Orithyie, cf. Ovide, Métamorphoses, VI 6.
5. insidie : piège, trahison
6. "Mais il périt faute de vivres"

[B3v]

par excessive ardeur & inflammation, & encores
plus grande, plus esmerveillable par torrens &
exuberantes inondations. Oultre ce quelque autre
cas qu'il n'est besoing de l'expliquer, & suffit
qu'il sera descouvert, & sera congneu le mauvais
& infidele, & plus que desloyal maltalent *1 les
seditions diversitez de mouvemens, exercites *2
esmeuz sans chiefz, les controverses seront si grandes
que rien que l'on entreprenne ne se parachevera,
l'un ne voudra abandonner le but, pour doubte
que la longue demeure ne le possede : l'inclemence
de l'air sera grande, & troublera quelque
emprinse pro victu & concubitu furor *3, & quelque
fureur & rage, presertim sacerdotibus & in
quovis sacris ordine initiatis dissertationem lites
& seditionem obiicit (?) magnatum odia infan
da,
legum contemptum
, * & la cruauté sera si grande
que la plus part ne pourront estaindre leur
soif, quelque espandement de sang qu'il se puisse
faire une grande troupe levera la main en hault
que ne sera sans grande effrayeur, les uns se vouldront
monstrer exterieurement affectionez pour
la religion que ne sera dedans ce que dehors
apparoistra. La pitié & charité sera plus tost estrangiere,
que peculiere avec marines & terrestres
depredations par amis & par ennemis ne comprins
à la crie, avec meurtres, voleries, avec
enorme incontinence & petulance aux hommes
avec la mort de deux & troys par la mort de

1. maltalent : ressentiment, hostilité
2. exercites : armées
3. "fureur pour la nourriture et pour l'union charnelle"

[B4r]

l'un sortira plus grande sedition, participant par
faute & indigence de froment : car ne sera la cueillie
la aux Espagnes, une partie de la Provence &
Italie telle que l'on esperoit. Les eclipses menassent
encores quelque autre cas que fera malvoir.
Les passages par tout ouvers, mais plains de bandoliers.*1
Aussi presage calamitosum alicuius magni
& supremi principis in suo dominatu cala
mitosum
exitum
,* biens deniez par les parties inferieures
avec captivitez, obsidions *2 assiegemens
& quelque tumulte : mortes pictoribus vitis eruditis,
& qui ingenio possent adverta omnia
: * car
des exicies *3 contaminations de l'air, chierté
volontaire & involontaire de vivre & d'un plus
grand l'amour, entre les nobles grandes controversies
& detriment de leur fortune prospere,
outre que dans ceste année quelque Roy malade,
mais sera trouvé son cueur estre soustenu de
la main de Dieu, & par sa puissance viendra en
parfaicte convalescence. Nouvelles discordes &
dissensions entre les hommes, consultoribus scribis
& huiusmodi hominum forensi genere per
niciem
parat
,* brief grande & mortelle, & cest
qu'est necessaire d'entendre l'antiquiss[ime] Proclus
menasse ceste année de ce qui est narré à la
fin de l'anné[e] on cognoistra apertement celuy qui
aura plus soigneusement presagé : & pource que
toute la Provence vous aymé, craint, venere &
cherit que mesmes nostre ville de Salon ne se res/jouit

1. bandolier : brigand armé
2. obsidion : siège
3. exicie : dégât causant une ruine funeste

[B4v]

jamais que de vostre venue, & ne se contriste
que de votre partement *1, & de vostre absence,
ay bien voulu pour le bon vouloir que j'ay tousjours
cogneu que vostre Celsitude me porte, faire
entendre de deux principaux poincts de ceste
année, c'est de quelque particuliere sterilité
universelle corrosion d'aucune vermine au principe
de l'esté, & de quelque gelée dommageable,
& de plusieurs signes pestilents, & des maladies
non moins dangereuses que la peste mesmes.
Que prieray à Dieu, & à toute sa court celeste,
qu'il nous doint la grace de passer ceste année
sans famine, peste seditions, mutinements, civiles
discordes, & secrettes conjurations, & me face
la grace qu'avant que je meure je puisse encores
une autrefois voir & parler au souverain monarque
Gaulois. Suppliant l'eternel Monseigneur
le tresdebonnaire qu'il vous doint santé vie longue,
accroissement d'honneur, & l'accomplissement
de voz nobles desirs. De Salon ce dixiesme
de Mars 1559.

Faciebat Michael Nostradamus Salonae
Petreae Provinciae.

1. départ
[B5r]

 
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Patrice Guinard: L'épître inédite à Claude de Savoie
dans l'Almanach pour l'an 1560

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16-06-2008 ; updated 15-05-2018
© 2008-2018 Patrice Guinard