Le thème du Monde à l'origine de la distribution des Joies planétaires dans les 8 Maisons
Patrice Guinard


Dans ma présentation des 8 Maisons astrales (CURA, 1999), je m'interrogeais sur l'existence d'une division par huit de la sphère, définie par les quatre maisons aux Angles et les quatre maisons intermédiaires (nommées le Bon Esprit, le Dieu, la Mauvaise Fortune et la Porte d'Hadès), antérieure à l'existence d'un Octotope courant de la Vie (Maison I) à la Mort (Maison VIII). Sur ce dernier et sa supposée antériorité au système des 12 lieux, je renvoie au texte de Cyril Fagan (1971 ; CURA, 1999) republié sur ce site.

J'avais noté la distribution incohérente des maisons couplées : la Bonne Fortune (Agathê tuchê) et la Mauvaise Fortune (Kakê tuchê) sont des maisons contiguës dans le système tardif des 12 Maisons, ainsi que le Bon Esprit (Agathos daimôn) et le Mauvais Esprit (Kakos daimôn), alors que le Dieu (Theos) et la Déesse (Thea) sont des maisons opposées. J'avais envisagé que les maisons 3, 5 et 12, ainsi que la maison 8, parfois désignée par le grec argos (c'est-à-dire vaine, inactive, futile, inutile) avaient été désignées postérieurement. La signification de cette Maison 8 du Dodecatopos est d'ailleurs emblématique de toute la reconstruction !

Et j'en avais conclu qu'il avait pu exister "un autre modèle de l'octotopos qui ne comprenait, outre les 4 maisons angulaires, que les maisons 2 (Haidou pulê, latin Porta inferna, la Porte d'Hadès ou Porte Infernale), 6 (Kakê tuchê, en latin Mala fortuna, la Mauvaise Fortune), 9 (Theos, en latin Deus, le Dieu) et 11 (Agathos daimôn, en latin Bonus daemon, le Bon Esprit) du dodekatopos ultérieur. Ce système est cohérent pour les raisons suivantes : la Mala fortuna (Kakê tuchê) et la Porta inferna (Haidou pulê) se retrouvent sous l'horizon (à noter leur caractère féminin et négatif), le Deus et le Bonus daemon au-dessus de l'horizon ; la Mala fortuna s'oppose sémantiquement au Bonus daemon et la Porta inferna au Deus ; la Porta inferna est logiquement la dernière maison, celle qui marque le passage à la mort." Après 20 ans, de nouveaux éléments me sont venus à l'esprit, et je propose une démonstration de la validité de mon intuition initiale.

1) Par la relation entre le Thema Mundi et la distribution grecque des planètes dans le cycle journalier et le cercle des 12 Maisons, ce que l'on a appelé les Joies planétaires : Mercure en 1, Lune en 3, Vénus en 5, Mars en 6, Soleil en 9, Jupiter en 11 et Saturne en 12 (p. ex. cf. Gettings, Dictionary, 1985 ; 1990, p.265).
2) Par la distribution proposée par Manilius, plus ancienne et différente de la précédente, et qui ne semble pas ancrée dans un espace à 12 lieux mais dans un espace à 8 lieux en dépit de son exposition confuse par le poète astrologue romain.
3) Par la confirmation de l'attribution de noms spécifiques aux quatre maisons intermédiaires de l'Octotope (II Agathos daimôn, le Bon Génie, IV Theos, le Dieu, VI Kakê tuchê, la Mauvaise Fortune, VIII Haidou pulê, la Porte d'Hadès), précédant les rajouts ultérieurs par couplage antinomique des vocables (Mauvais Génie, Déesse, Bonne Fortune) afin d'adapter l'octotope originel aux besoins du dodécatope.

Le Thema Mundi d'origine babylonienne (un thème symbolique et non réel puisque Mercure y figure à environ 150° du Soleil) est à la source des Joies planétaires, c'est-à-dire de la distribution des planètes dans le cycle journalier. Quatre planètes ont servi de fondement à cette distribution : Mercure à 15° de la Vierge (maison I de l'Octotope), Jupiter à 15° du Cancer (maison II de l'Octotope), le Soleil à 19° du Bélier (maison IV de l'Octotope) et Mars à 28° du Capricorne (maison VI de l'Octotope). Il suffit de faire pivoter le schème initial d'environ 60° pour retrouver les planètes avec les mêmes écarts sur le cercle journalier. C'est ce qu'on aura fait avant d'attribuer aux trois planètes restantes des positions correspondant à leur nature : Vénus au MC parce que bénéfique, Saturne au FC parce que maléfique (et en position isomorphe à sa position dans le Thema Mundi), et enfin la Lune à l'opposé du Soleil. C'est le schéma que Manilius avait sous les yeux quand il rédige la dernière partie du livre II de ses Astronomiques.

d'après Zinner, The stars above us, 1957, p.56 Joies planétaires et Thema Mundi

Manilius distribue donc les trois autres planètes comme suit : Vénus au MC, Saturne au FC et la Lune à l'opposé au Soleil (Astronomica, 2.808-970). George Goold, dans son introduction au traité de Manilius, reproduit la description manilienne dans un canevas à 12 Maisons (Astronomica, 1977, p.lix). De son côté Bouché-Leclercq, le premier historien moderne de l'astrologie grecque, reproduit un schéma contradictoire, censé représenter l'Octotopos de Manilius (1899, p.276) d'après la même description. Tous deux se trompent. Manilius a effectivement donné sa distribution planétaire dans le Dodécatope (qui était devenu le système usuel à son époque) mais en considération des positions planétaires issues d'un ancien système à 8 Maisons. Autrement dit Manilius a donné les joies planétaires de l'octotope antique rapporté au dodécatope. Sa description est un mélange entre deux systèmes, dont le premier est fondateur et le second rapporté et artificiel.

Goold, reconstitution du Dodecatopos d'après Manilius Bouché-Leclercq, reconstitution de l'Octotopos d'après Manilius

A preuve sa conclusion : "Cui parti nomen posuit, qui condidit artem, octotropos ; per quod stellae diversa volantes quos reddant motus, proprio venit ordine rerum." -- "Le premier auteur de l'astronomie a donné [à cette section] le nom d'octo topos. (...)" (trad. Pingré, éd. Alleau, 1970, p.171) ou "The founder of astrology gave to this section the title Octotropos ; the motions of the planets, which fly through it in the opposite direction, shall follow at the proper place." (trad. Goold, 1977, p.159). Y ferait-il allusion à Hipparque ?

En outre Manilius présente la dixième maison, celle où se rejouit Vénus, à égale distance du lever et du coucher des astres et semblant tenir l'univers en équilibre (Alleau, p.167 ; Goold, p.155). C'est bien la preuve que la 10e Maison (la maison III de l'Octotope) est bien centrée sur le MC comme dans la représentation octotopique et non décalée vers la gauche comme le voudrait la représentation dodécatopique.

La distribution planétaire donnée par Manilius, Mercure en I, Jupiter en II, Vénus en III, Soleil en IV, Mars en VI, Saturne en VII et Lune en VIII est parfaitement cohérente avec les qualifications classiques de l'astrologie grecque : les planètes bénéfiques (Jupiter et Vénus) se retrouvent au-dessus de l'horizon avec le Soleil ; les planètes maléfiques (Saturne et Mars) en-dessous avec la Lune ; Mercure, planète neutre, est en Maison I, centrée sur l'Ascendant, donc sur et sous l'horizon. Les maléfiques sont opposées aux bénéfiques comme le Soleil l'est à la Lune. Le schéma dodécatopique est à cet égard totalement incohérent : Saturne y est placé au voisinage du Soleil au-dessus de l'horizon, et Vénus au voisinage de Mars sous l'horizon. Il ne s'agit que d'un bric-à-brac tardif rapporté par Valens (150 ans après Manilius) et repris par Firmicus et Paulus.

Guinard, Octotopic Planetary Joys after Manilius, Les Joies planétaires et les 8 Maisons de l'Octotope d'après Manilius

La distribution initiale des Joies planétaires était ancrée dans un système à 8 maisons, et les noms des 4 maisons supplémentaires du Dodecatopos ont été rajoutées ultérieurement : la maison du Mauvais Génie (contiguë à celle du Bon Génie), celle de la Bonne Fortune (contiguë à celle de la Mauvaise Fortune), la Maison de la Déesse (opposée à celle du Dieu), et la maison vide et sans nom (opposée à la porte d'Hadès). Ce qui impliquait un redoublement de la symbolique puisque l'opposition sémantique initiale était celle opposant le Bon Génie à la Mauvaise Fortune. En outre Mark Riley, dans son article de 1987 consacré à Ptolémée (reproduit au CURA en 2010) s'étonne de la malignité de la maison III telle qu'elle est décrite par Dorotheus. Pourquoi la Lune, supposée régir la maison de la Déesse, se retrouverait affublée de connotation négative ? C'est bien parce que la Lune régissait initialement la Porte d'Hadès (et la mort) et non la supposée Maison de la Déesse qui n'est qu'un rajout tardif.

Cette terminologie sera redoublée d'une description rapportant le cycle journalier à la durée de l'existence humaine, commençant par la Vie (Vita) en Maison I jusqu'à la Mort (Mors) en Maison VIII, laquelle se trouve replacée aux deux tiers du cycle dans le bricolage dodécatopique ultérieur. En l'occurrence, Manilius est très clair sur ce point : la maison lunaire préside à la mort et aux derniers instants de la vie (Alleau, p.167 ; Goold, p.155), précisant que ce sont les Romains qui ont donné le nom de Déesse à la maison lunaire, c'est-à-dire lors d'une reconstruction ultérieure faisant glisser la Lune de la Porte d'Hadès à la Maison de la Déesse !

La découverte de cette filiation entre le Thema Mundi et le modèle manilien des Joies planétaires est une confirmation éclatante de l'antériorité de l'Octotope sur les divers Dodécatopes. Les astrologues et amateurs en histoire de l'astrologie, pour la plupart anglo-saxons, ne recherchent malheureusement dans le passé que les schémas confirmant leurs pratiques actuelles et écartent soigneusement les indices les invalidant. Ils reproduisent l'affirmation fantaisiste et contradictoire de Goold comme quoi l'Octotopos ne représenterait que les deux tiers de l'ensemble du schème dodécatopique : "It is simply the first eight temples of the dodecatropos, considered as a sequence from birth to death." (Astronomica, p.lxii). Mais Goold ne s'interroge pas sur la nature de la supposée huitième maison du Dodécatope, sur sa présence incongrue au-dessus de l'horizon, et pourquoi la mort qu'elle est supposée incarner, survient aux deux tiers du cycle. La vérité est que le système dodécatopique prend sa source dans un plus ancien schème octotopique, plus cohérent, mais qu'une certaine école d'astrologues alexandrins aura défiguré et annihilé à des fins de pratiques horaires. C'est ce qu'ils appelleront l'école hermétique, ignorant qu'à l'époque de Manilius il y avait maintes pratiques concurrentes et contradictoires usant des mêmes opérateurs, planètes, maisons, et signes zodiacaux.


Patrice Guinard: Le thème du Monde à l'origine de la
distribution des Joies planétaires dans les 8 Maisons
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