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Idées en Vrac 2012-2013
Patrice Guinard

 
 

Amour pluriel. On n'aime pas une femme en soi, on n'aime une femme qu'avec : avec tout ce qui va avec : une femme avec la mer, une femme avec une ville, avec une villa, avec une autre femme, avec une atmosphère, un climat, une odeur de pluie, avec un dérèglement quel qu'il soit.

L'après-vie est et sera pure énergie, pur désir, pur affect, vie sans corps, sans image, sans limite matérielle, étendue sans espace, durée sans temporalité, toute chaleur et plaisir, toute union.

Atavisme intellectuel. Ce sont les mêmes idiots et/ou cyniques, et leurs héritiers dans l'esprit du temps et l'intérêt calculé, qui ont cru et/ou encensé la révolution léniniste, la chinoise dite culturelle, et désormais l'informatique mondialiste consensuelle.

Aveuglement de Nietzsche. La question n'est plus, comme au temps de Nietzsche, le devenir du Surhomme : mais comment rester homme ! Nietzsche n'est peut-être pas aussi visionnaire qu'il paraît : sa problématique du Surhomme -- certes mineure et quoi qu'on ait voulu lui faire endosser -- est anachronique, voire grotesque. Car déjà Tocqueville avait compris qu'on allait à grands pas vers ... le sous-homm e !

Castaneda : peu d'autre pensée vivante hors les bouillies préparées. Oublier ce monde oblitéré par le spectacle mijoté. Se désocialiser pour prendre possession de soi et du réel. Prendre le contre-pied des comportements et savoir-faire peaufinés par l'habitude, cultiver les aspects les plus négligés car les moins utiles de la palette des capacités humaines, et en faire l'essentiel : rêver ! Substituer au spectre du connu, plus ou moins partagé, de nouveaux agencements improbables : les sorciers auraient leur astrologie ! ... Mais est-il nécessaire de brader un certain inconnu, déjà difficilement accessible au commun -- la plupart ne reconnaissent les impressionaux astraux, et la magie du réel, et l'amour même, que si on leur en parle ! -- par une pratique acharnée de l'impondérable et par une connaissance improbable car quasi-inaccessible à l'esprit ? Je pratique depuis toujours la traque et la récapitulation, à ma manière, mais ne crois pas, d'instinct et par tempérament, à la possibilité d'une sorcellerie commune, plus ou moins partagée, telle qu'elle apparaît dans le dernier Castaneda, celui des Passes.

Compétition truquée. L'avantage de la recherche, même si peu gratifiante, en des domaines annexes de la connaissance, sous-valorisés, méprisés, et avec peu de prétendants et compétiteurs, tels l'astrologie, la nostradamologie, voire l'épistémologie du fait ludique, mes passions, c'est que le débat n'est pas encore totalement truqué - même si quelques nullités vendant de l'horoscope ou de la prédiction occupent la scène, mais sans y faire illusion -, car pauvre et balbutiant, il n'est pas encore quadrillé par les diktats de la pensée commune et par l'argent : la valeur, l'originalité et le mérite personnels, même s'ils ne sont reconnus que par peu (les quelques rares spécialistes qui se côtoient inter pares), peuvent se manifester aisément, malgré les jalousies humaines, par la simple raison qu'ils se distinguent naturellement du vide ambiant.

Dégoût et vieillesse. Ce n'est pas l'âge, la sénilité, l'impuissance, la démence, qui détruisent le cerveau : mais le dégoût.

Désocialisation, non comme perte de repères, mais comme sur-adaptation. Pas de télés, radios, infos, le moins de médias possible ... dénormalisation, déconnection aux machineries à formater du sous-homme, aux appareillages socio-économiques, idéologico-politiques, et toutes leurs fabriques annexes ... désidentification aux starlettes, catéchismes laïcs, substances mentales étrangères, injectées à forte dose à fin d'asservir la conscience et la perception. Non pas changer de monde, mais rester dans le seul monde réel, éternel, vivant, qui n'a cessé d'être, sinon incessamment obstrué par le vacarme alien produit par la techno-modernité.

Destin national. Le consommateur de clichés se rue parfois aux urnes, puis aboie et râle, se débattant et déblatérant en ses râles quand les effets de ses actes commencent à lui briser l'échine, en l'occurrence nunc et hic, et surtout hodie et cras, hanté par la honte de l'asservissement, comme il n'en fut de plus déguisé, à dégurgiter indéfiniment les sévices programmés et séquelles indélébiles : destin irrémédiable d'une nation rongée par le mensonge, la lâcheté et l'ennui, qui ne mérite finalement que ce que mérite le gros en ses rangs.

Dette et Usure. Le système actuel de l'asservissement des individus et des États par la dette reconduite infinie n'est que la généralisation à l'échelle planétaire des pratiques usurières.

Devant. Il faut être devant, toujours, ne serait-ce que d'un poil, ou risquer d'être happé, confondu, englouti, par une masse gluante dont les ressacs sans sens conditionnent notre mobilité. Il n'est pas d'autre alternative : subir ou initier.

Double Chute. Il y a trois mondes et deux déchéances : le monde de l'énergie pure, des affects indéfinis, du bain infini, chaud, liaison intérieure, union au tout, à tout, à toi et toi, sans distinction, sans heurt. Puis une première chute : dans le monde des objets séparés, des percepts, des sens, de ce qu'on voit, touche, entend, et qui est autre chose. Puis une seconde chute : dans le monde mental, des concepts, de l'intellect, de la séparation, du moi, de l'égoïté, de la distance, un monde-discours, un monde dans la tête, paroles, idées, représentations mentales, virtualité idéifiée.

Dubito ergo non sum. La philosophie de Descartes ne commence pas par le Cogito, mais par le doute. Dubito. Et on l'a suivie, bien artificiellement, tout en restant plaqué au stade initial, et en s'appropriant son inutile et illusoire conclusion, Sum. Autrement dit : Je suis parce que je doute, d'autant plus que j'en suis resté au doute. Sum quia dubito et dubitando permaneo. Belle perspective !

Fin de l'Europe. Ce que les nazis ont initié avec les camps se parachèvera à échelle continentale : tous finiront gazés, asphyxiés, contaminés, par l'eau, la nourriture, les radiations, dans un silence macabre, chacun chez soi, cloîtré, plaqué sur ses écrans, abouché à ses appareillages.

Finalité cosmique. Chacun est un pion infime au sein de l'ordre cosmique. La vie se sert de tous pour parvenir à ses fins. Mais pour beaucoup, perplexe on s'interroge : Mais où veut-elle donc aller ?

Fort. Qui est convaincu que le fort est plus fort ou n'est fort que quand il est seul, celui-là seul est fort !

Fourrage à bestiaux. La télé, les journaux, et la quasi-totalité de ce qui est donné comme spectacle ou information, c'est du fourrage pour les bestiaux !

Histoire et Falsification. L'histoire, c'est toujours la réécriture de documents filtrés : actualité et chronique sont déjà de l'invention et de la discrimination des faits.

L'idéologie, c'est imposer un système de croyances, de comportements, d'espoirs et de craintes, qui se substitue aux croyances, comportements, craintes et espoirs naturels et propres à chacun, c'est-à-dire dépendant d'aspirations et d'expériences personnelles. L'idéologie est d'autant plus coercitive et débilitante qu'elle brasse une multitude de profils et de singularités factices pour les assembler sur un canevas normalisé polymorphe. Toujours le même, mais qui est autre : étranger à soi-même, imposé, appauvri, dévitalisé, se déclinant indéfiniment par le biais d'appareillages et de machineries qui pulvérisent et dissolvent la sève de toute altérité. Innervé par le média, on se retrouve asynchrone à soi-même.

Idiosyncrasie jupitérienne. En Occident et en particulier en vieille Europe, toute création culturelle passe par les fourches caudines de l'idiosyncrasie jupitérienne. Ainsi la science, et la religion avant elle, sont détournées, instrumentalisées et mises à disposition de l'idéologie bipartite et de la promesse politique. Les manchots sans bras opèrent par la langue.

Impercevoir. Il est revitalisant de sonder l'étant du monde, d'apercevoir ou plutôt d'impercevoir que l'état présent des choses, par-delà macadam et vacarme, et surtout par-delà le quadrillage des cervelles par l'intériorisation consentante des représentations et babillages sociaux, est quelque chose d'autre dimension, toujours neuve, inconnue, mystérieuse, voire surnaturelle. C'est sortir d'un monde obstrué, ingurgité par la répétition des vraisemblances, pour accéder à la seule étendue réelle de l'être.

Informer, quand ce n'est désinformer, c'est rendre informe, c'est former du dehors en dedans, c'est modeler la conscience et la perception, c'est les farcir de substance étrangère, les aliéner. L'information ne traite jamais de nous-mêmes, sinon par le mensonge et la falsification, elle ne traite jamais des aspirations d'une communauté, mais de son instrumentalisation par les pouvoirs et intérêts.

Insensibilité. On ne ressent pas la destruction, la lente et implacable détérioration de toutes choses, déshumanisation et désertification, ou très peu : c'est parce qu'elle nous accompagne, marche à notre pas, nous enveloppe, et s'installe en nous-mêmes. Mais qu'une lumière étincelle, qu'une lueur de vie intacte se manifeste par hasard, impromptue, limpide comme à la source, alors seulement on mesure l'étendue des ravages.

Inter pares. Les filles de prisunic, qu'on croise aux galeries, bars et trottoirs avec leur prix étiqueté au front -- je vaux tant ou tant --, ne tombent que sur des types de pris-unis : c'est l'entente entre paires ... Ultimi inter pares !

Labeur et Pâture, Salariat et Médias, les deux mamelles de l'homo republicanus.

Lecteurs occasionnels. La plupart de mes lecteurs sont des lecteurs indirects et occasionnels. Ils ont lu Machin et Truc, sans savoir que ceux-ci ont trouvé "leurs idées" chez moi, les adaptant à leurs intérêts et préoccupations. C'est la conséquence du système actuel de production et diffusion des textes : organisé par la canaille pour la canaille.

Liberté de Percevoir. C'est la seule liberté, non pas d'expression (l'agora est truquée en pseudo-démocratie ploutocratique), ni même de conscience (un concept biaisé par l'égoïté occidentale). Pas plus qu'il n'existe de droit acquis ou institué par je-ne-sais-quel groupement de décideurs, légistes et idéologues. Comme Don Quichotte qui s'approprie son monde : c'est là mon seul droit !

Lois et règlementations sont commanditées et payées par les riches pour restreindre la liberté d'agir des petits ; elles sont votées et exécutées par leurs valets et par quantité d'imbéciles payés pour la besogne.

Louis Ferdinand : son idée, sa seule idée, c'est la dépossession. La mono-idéocratie moderne équivaut, voire fait pire que les totalitarismes les plus violents : extirper, confisquer, racketter, spolier. L'extorsion récursive est inscrite dans le code, elle est la loi ultime qui s'immisce au coeur du plus intime jusqu'à déposséder chacun de sa dernière parcelle, de son ultime mélodie et ritournelle, celle de ses rêves et aspirations. Les Beaux Draps ! Et à l'entrée du Soleil de 2011 en Verseau, sous une Lune aveuglée en Lion au sesqui-carré de Mercure et Pluton, revient le moment de la honte de la culture nationale.

Machineries nomades. Le citoyen subit le nomadisme des services et administrations : bureaux déplacés de ville en ville, de département à région, de préfecture à centre de traitement, personnel inaccessible sinon via interphones, automates et listes d'attente, responsables et chefs de service anonymes, évanescents et interchangeables, lois, décrets et règlements variables, indéfiniment multipliés, rectifiés, remplacés, amendés, si bien qu'il est impossible de suivre les textes de lois à mesure qu'ils apparaissent, même pour les spécialistes. A l'inverse l'individu est fiché, répertorié, catalogué, épinglé dans ses actes, paroles, mouvements et opinions. Il est harcelé par toutes sortes d'intermédiaires, de services et de bureaux annexes, tenu de fournir quantité de papiers justifiant son identité sociale. Satellites, radars, caméras et enregistreurs le pistent. Ses téléphones, compteurs énergétiques et connexions le tracent et informent de ses moindres activités et velléités. C'est le nouvel esclavage à visage inhumain.

Message au commun. Un seul sens et message véhiculé aux presses et ondes : "Vous nous lisez, nous écoutez, nous regardez : alors vous êtes des loques." Ce qui n'empêche pas la plupart de continuer à se gaver de mots, sons et images à avaler. Pourquoi ? Parce ce qu'ils en acceptent le constat.

Méthodes scientifiques, philologiques, procédures techniques, etc. On applique des méthodes - on se résout à les appliquer - quand on est incapable d'opérer ou de réfléchir par ses propres moyens.

Mieux vaut vivre et mourir par ses erreurs et de ses rêves, que par procuration, avec une cervelle étrangère greffée en tête.

Mineurs majoritaires. Les Naudé, Gassendi, Voltaire, etc., auteurs mineurs quant à l'avancement de la philosophie, mais majeurs quant à la formalisation de l'idéologie consensuelle commune.

Misanthropie et Amour de la Vie. Rien n'est devenu plus compatible que ces deux notions.

La Modernité ! Le seul "thème" philosophique qui m'ait jamais intéressé, celui-là même, tabou, qui n'est jamais abordé par les étudiants et lycéens, puisque tout l'enseignement de nos écoles consiste précisément à l'éviter, à adapter l'esprit et l'intellect à ses impératifs et modèles, à mouler les raisonnements aux diktats de l'idéologie commune.

Molière. Rit-on, sourit-on même au Misanthrope comme on le fait au Bourgeois, à l'Avare, au Malade, au Cocu, aux Savantes ? Non, on se dit : "Qui est Molière ? Quel est son ridicule à lui ?" Ne serait-ce celui de Gracián, celui du Courtisan, voire métamorphosé en bouffon et maître du Spectacle ? Et c'est pourquoi le Misanthrope ne fait pas rire, car courtiser n'est jamais aimer l'humain.

Moutons. Mille particularités, des variations de touffes, des arabesques et sinuosités dans la coupe singularisent chaque mouton dans un paturage. Et chacun fut amené au troupeau différemment. En somme ils sont "individualisés" ... mais ce ne sont que des moutons.

Naissances. A chaque nouvelle naissance, l'affection et le désir d'une femme pour son conjoint sont divisés par deux.

Penseurs libres. La différence entre un penseur libre ou aristocrate de la pensée, et un serf de la raison commune, entre un Cecco d'Ascoli, un Pontano, un Paracelse, un Hutten, Cardano, Servet, Scaliger, La Boétie, Campanella, et les idoles qu'on nous fourgue dans les écoles, est que ceux-ci n'expriment au final que leur asservissement à la pression de la pensée commune (et c'est ainsi qu'on finit par les lire et les commémorer), quels que soient leurs grands ou petits talents littéraires et artistiques, alors que les premiers nous servent d'éclaireurs et d'amis.

Le pouvoir de condamner était réservé aux élites spirituelles, religieuses et culturelles, secondées par la force militaire, leur auxiliaire armé. Mais aujourd'hui des avortons sans nom, pour la plupart mis en place et fonction par la compromission et l'argent, singent la démarche de leurs aînés, avec pour bras efficients les médias et l'instrumentalisation des consciences.

Psychanalyse et barbarie. La psychanalyse s'est finalement imposée car elle favorise les identifications visibles, les clarifications triviales, les explications évidentes, notamment par le plus connu, par l'accessible à tous, y compris au cerveau d'un enfant de douze ans. Elle fut d'abord rejetée en Europe, mais acceptée par la culture outre-atlantique en quête de trivialités et d'enfantillages. Plus tard seulement elle fut adoptée en Europe, et notamment en France, comme outil de coercition idéal. La psychanalyse restera un maillon non négligeable de l'évolution de la culture occidentale vers la barbarie, sa destination finale.

LA question. Quelle est la question qui hante ton esprit ? -- Suis-je déterminé ?

Raffinement inutile. Avec l'âge et l'expérience on peut cultiver toutes sortes de raffinements, parfois même une délicatesse et une bienveillance à soi toutes nouvelles. Ce qui n'empêche pas de n'être aimable pour personne.

Récompense. La vie, l'énergie, l'esprit, sont en-soi leur propre récompense.

Regard neuf. Il faut essayer, toujours, de repartir à zéro, avec un regard neuf, même pour des choses et dans des domaines qu'on connaît ou croit connaître le mieux, faute de quoi on s'enferre dans des représentations, sinon inintelligibles, du moins biaisées par le poids d'un cheminement à la fois contingent et déterminé. Et il faut aussi laisser des traces de ses passages, à servir, occasionnellement, de repérage à d'autres ou à soi-même.

Reconstruire l'astrologie. Sortir de l'astrologie pour la recréer du dehors -- tout le projet du CURA. Mais réorganiser l'astrologie, c'est aussi la déconstruire. Une épistémologie de l'astrologie consiste à analyser ses dysfonctionnements. Seul l'astrologue peut engager sa déconstruction, si en vogue aujourd'hui, en ce temps où ne naît pas même un bâtisseur pour cent démolisseurs : car pour déconstruire, encore faut-il reconnaître les rouages de la construction. Autrement, il ne s'agit que de destruction, un passe-temps abandonné aux brutes et affiliés des clubs pseudo-scientistes.

Rêve du 3 mai 2013 à environ 3h30. En France : une sorte de banquet sinistre et sombre. Les invités commencent à prendre position autour de vastes tables. Il faut trouver une place et se lever pour aller chercher les plats. Certains ont entamé le principal, d'autres en sont au hors-d'oeuvre, d'autres cherchent encore à s'asseoir. Une longue file d'attente. On décide avec un convive de passer sous les tables afin de trouver un raccourci vers la distribution. Je me retrouve debout et regarde les mangeurs. Partout des figures consternées. La nourriture n'est pas comestible. Soudain M. se retrouve à quelques pas de moi, puis elle me dépasse sans me saluer. Je suis abasourdi. Comme dans une scène qui se rembobine, la bolivienne repasse devant moi, me sourit, et m'invite à la suivre. Cette fois son mari ne peut pas la voir. Ah bon, elle s'est mariée ... D'un ton affirmatif, sans aucun reproche : "Depuis tout ce temps, tu n'as jamais pensé à moi." J'avoue que non. "C'est normal, parce que je suis comme toi, je suis avec toi, je vis dans toi. Tu n'as donc pas besoin de penser à moi."
Elle m'entraîne au dehors et on atterrit dans une salle exiguë avec une dizaine de types, au début peu engageants, tous assis par terre. Ils ont plus une allure de mexicains que de boliviens. Il reste deux places au fond de la salle près de la fenêtre. On enfourche les jambes des uns et des autres, ... hola, hola, qué tal ... et je m'assois. L'ambiance devient chaleureuse. "Habla español". Je discute un peu avec mes interlocuteurs. M. a disparu. Soudain elle réapparaît à l'entrée de la pièce suivie de trois ou quatre filles, cachées derrière elle, tapies dans l'ombre. La première se dévoile. Je la reconnais, je ne l'avais revue depuis longtemps. On s'embrasse avec effusion. [Je ne saurais l'identifier. C'est une créature que je rencontre dans mes rêves. Chacun rencontre des créatures dans ses rêves qui n'existent que dans l'état de rêve, qu'on oublie toujours, et qu'on ne retrouve que dans le rêve.] Elle s'écarte. Une autre apparaît, le visage fardé comme noirci par de la cendre. Je ne la reconnais pas. Elle insiste. "Non je ne te reconnais pas". Elle esquisse un sourire puis s'éclipse. Et je me réveille, comme un idiot, et avec cette idée : une femme qui est une amie, une complice, s'efforce de donner à un homme ce qu'il désire le plus si elle le peut.

S'amuser ! On ne s'amuse plus en France. Nulle part. On n'a pas idée de ce qu'est la Fête. On est trop con pour ça.

Synchronicité atrophique. Pourquoi l'état de nos arts et sciences, de notre vitalité, et surtout la qualité de notre humanité, ne seraient-ils pas en résonance avec le degré d'autonomie de nos gouvernances ? C'est-à-dire à un niveau proche de zéro, ce que tous admettent, mais personne ne le croit.

Terminus. Y aura pas de seconde chance. Pas d'effet retardé. Pas de renaissance des Van Gogh, Gauguin, Leonardo. Ceux-là connaissaient leur particularité, leur lueur de génie. Savaient que leur étincelle renaîtrait quelque part. Dans la justice de la création. Nous, à la seconde fêlure, sentons qu'il n'y aura rien. Que le destin signe Nada. Le vide béant de l'éternité. Le néant écrasant les vanités. L'éradication des consciences. Y aura plus de représentation, plus de volonté : seulement le défilé des médiocres, les lupanars de la démonstre médiocrate, les batifolâtries pour badauds, les moulins à merde artificielle. Les mêmes sous toutes latitudes, avec leurs sosies, avec leurs cloneries. Et si nous persistons, c'est seulement pour nous maintenir en vie, parce qu'une énergie encore vaillante nous habite. Mais n'attendons aucune reconnaissance, aucune sympathie, puisque ne suintons qu'aux rythmes de nos artères. Car dans cinquante ans, tout sera plié. On le sait. Tout ce qui avait été assimilé, préservé, illuminé depuis des millénaires, sera recouvert de couches d'immondices, de techno-puanteur, d'ordure aliène. Partout, aux écrans, aux lieux de plaisir et de labeur, aux espaces privatifs de la conscience et de la perception. Et plus personne pour distinguer qui ou quoi.

 
 
Patrice Guinard : Idées en Vrac 2012-2013
http://cura.free.fr/13+/131211aphor.html
11-12-2013 ; revised 08-01-2019
© 2013-2019 Patrice Guinard